Troubles des conduites alimentaires
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Troubles des conduites alimentaires
Ph. Dardenne
Institut Mère-Enfant, annexe pédiatrique, Hopital sud,
BP 56129, 35056 Rennes Cedex 2
Les conduites alimentaires sont déterminées par trois ordres de facteurs :
neuro-physiologiques (la régulation de la faim et de la satiété se fait au niveau de l'hypothalamus surtout, mais en connexion avec l'ensemble du cerveau ;
socio-culturelles (il y a un apprentissage des conduites alimentaires, culturel et familial),
enfin, des facteurs reliés au développement de la personnalité, où le sens conscient et inconscient de l'alimentation va jouer un grand rôle (le lien aliment-mère reste prédominant dans les significations conscientes et inconscientes en relation avec la phase orale du développement qui marque la première année de l'enfant).
Les troubles des conduites alimentaires peuvent se faire :
soit dans le sens de la restriction pour des motifs d'ordre social ou politique (grève de la faim, jeûne, etc...) ce qui en fait discuter le caractère pathologique ou non ;
soit dans le contexte d'une pathologie psychiatrique :
la schizophrénie : la bizarrerie de la pensée, les émergences délirantes (avec éventuellement des phénomènes hallucinatoires), le repli sur soi.
les délires chroniques : le thème du délire est la crainte d'être empoisonné, reliée à des idées de persécution.
la mélancolie : le refus de l'alimentation peut être compris comme une conduite suicidaire ; la douleur morale, dans certains cas, des thèmes délirants (d'indignité, de faute ou encore de négation d'organe voire du corps dans le syndrome de COTARD) permettant de repérer l'état mélancolique.
la manie : l'hyperactivité du malade ne lui laisse en quelque sorte pas le temps de manger.
l'hypocondrie : la restriction alimentaire s'associe à un certain nombre de règles de vie auxquelles le malade s'astreint par peur de léser son corps (ou certains organes) ; souvent la restriction concerne certains aliments considérés comme nocifs.
les états démentiels, la confusion mentale : l'anorexie s'insère dans le cortège des perturbations de la plupart des fonctions intellectuelles.
les états dépressifs : où l'on peut noter tantôt une restriction (l'anorexie matinale du petit déjeuner est représentative), tantôt une hyperphagie que le déprimé décrit volontiers comme compensatoire à son malaise interne.
les états névrotiques : criante de prendre du poids perçue comme non fondée par le sujet, phobie de certains aliments.
La restriction alimentaire peut s'observer dans certains syndromes organiques.
Si la cachexie hypophysaire de SIMMONDS est exceptionnelle (aménorrhée précoce, amaigrissement tardif, autres signes d'atteinte de l'antéhypophyse) de même la cachexie par tumeur hypothalamique et le syndrome de SHEEHAN (qui suit un accouchement ou un avortement) ; le diagnostic doit surtout se faire avec les maladies infectieuses (tuberculose, affections virales,...), des atteintes digestives (notamment gastriques) ou des cancers. C'est dire la nécessité d'un entretien et d'un examen général approfondi et de ne négliger aucun élément de l'anamnèse.
Enfin, une affection est caractérisée par la perte de l'appétit (c'est le sens du mot anorexie) qui en est le symptôme prédominant, masquant les autres signes.
1 L'anorexie mentale
Pour certains, elle constitue une entité clinique du fait de sa survenue au moment de l'adolescence ("anorexie mentale de la jeune fille"), du contexte relationnel, de la focalisation de la patiente sur le refus alimentaire, ce qui a pu faire parler d'une conduite addictive (comme les toxicomanes, ou encore la boulimie que nous décrirons plus loin).
1.1 Description
L'anorexie mentale essentielle de la jeune fille est la forme la plus typique et aussi la plus fréquente (avec une augmentation de sa fréquence actuellement).
Elle survient lors de l'adolescence entre 13 et 18 ans chez la jeune fille décrite comme "sans problème" auparavant ; l'anorexie survient apparemment comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, à la suite d'une déception scolaire, sentimentale, d'un deuil ou d'un régime amaigrissant suivi à la suite d'une remarque "vexante" sur le physique de la patiente.
La triade (des 3 A) s'installe progressivement :
Anorexie qui se majore petit à petit allant de la restriction plus ou moins qualitative (la viande, les aliments gras) au refus de l'alimentation quasi-total,
Amaigrissement variable, pouvant aller jusqu'à 1/3 du pois,
Aménorrhée, le plus souvent secondaire.
Pendant un moment, ces symptômes passent inaperçus de l'entourage qui a même pu encourager le régime au début, à la phase d'état, les conflits entre la patiente et son entourage deviennent majeurs, la patiente est décrite comme tyrannique, imposant ses volontés à sa famille, et elle décrit sa famille comme ne la laissant pas tranquille, l'épiant et ne pensant qu'à la faire manger.
D'autres éléments doivent retenir l'attention :
l'hyperactivité sur le plan physique (l'anorexique est une fanatique du jogging) et aussi sur le plan intellectuel, comme s'il s'agissait d'accroître l'élimination des calories et des graisses indésirables,
des épisodes de boulimie soigneusement cachées et très culpabilisés.
D'autres signes sur le plan somatique :
la constipation qui est souvent précoce, tenace, en rapport avec le peu d'ingesta, et qui est souvent traitée par la patiente, avec excès, ce qui peut entraîner une maladie des laxatifs (avec hypokaliémie) :
l'atteinte de la peau et des phanères, ongles cassants, cheveux secs et cassants,
il peut y avoir une hyperpilosité (pas toujours en rapport avec un hypercorticisme lié à l'amaigrissement.
Le bilan biologique est d'abord peu perturbé, mais il peut s'aggraver au cours de l'évolution, notamment avec la dénutrition : baisse de la protidémie, troubles hydroélectrolytique renforcés par l'abus de laxatifs
Les fonctions endocriniennes sont normales pendant un long moment, ce n'est que dans les formes plus graves cachexiques que l'on constate un dysfonctionnement hormonal, une hypothermie, une hypotension artérielle avec bradycardie.
Dans certains cas le syndrome anorexique peut être évalué pour son propre compte lorsque la cachexie est installée.
1.2 Sur le plan psychologique
L'anorexique a la réputation d'avoir de bonnes capacités intellectuelles ; l'intellectualisation, la rationalisation sont en effet très marquées. Il existe une sorte de négation de l'image du corps, l'anorexique ne se perçoit pas comme maigre, elle paraît indifférente à l'amaigrissement, il existe une angoisse très marquée lors de toute ingestion d'aliments. L'ensemble a pu faire parler d'altération quasi délirante de la perception de son propre corps et aussi d'un maintien d'une excitation reliée à la faim ; une sorte d'"orgasme" de la faim.
Les relations de l'anorexique sont pauvres avec ses pairs ; il est aussi caractéristique de l'anorexique veuille participer à plusieurs activités mais être toujours près de la porte de sortie, c'est-à-dire, ni complètement dedans, ni complètement dehors par rapport aux activités ou à un groupe de personnes.
La famille est volontiers décrite comme ayant tendance à surprotéger l'anorexique, la mère a souvent une relation très conflictuelle avec sa propre mère ; en fait, ce qui nous paraît plus important, c'est la difficulté de la séparation tant au niveau des parents qu'au niveau de l'anorexique elle-même.
1.3 Les formes cliniques
A côté de cette forme type, on a décrit d'autres formes d'anorexie :
les formes hystériques graves, fréquemment rencontrées chez la jeune fille, caractérisée par :
l'exhibition de la maigreur,
le comportement dissimulateur et mythomaniaque,
les formes à structure obsessionnelle, rares mais sévères, très ritualisées, vécues avec culpabilité et une importante note anxieuse,
les formes pré-psychotiques annonciatrices d'un début de schizophrénie où prédomine l'altération de l'image corporelle.
les formes hypocondriaques avec anxiété intense.
Selon l'âge : l'anorexie aurait meilleur pronostic quand elle surviendrait entre 15-16 ans ou 17-18 ans, cependant, il existe des formes précoces en-dessous de l'âge de 12 ans qui ont la réputation d'être plus sévères de même que les formes survenant au-delà de l'âge de 18 ans.
Selon le sexe : l'anorexie existe chez le garçon, beaucoup plus rarement, 10 % des cas. Classiquement l'anorexie est reliée à une structure psychotique, mais il existe aussi des anorexies mentales chez les garçons tout à fait comparables à celles de la jeune fille.
1.4 Evolution - pronostic :
1/3 des cas, évolue favorablement avec restauration des relations sociales, amélioration des relations avec la famille, reprise des règles (c'est un bon signe de l'arrêt du processus anorexique),
1/3 des cas, amélioration incomplète, avec souvent des rechutes et souvent une alternance des phases boulimiques et anorexiques,
1/3 des cas, évolution grave, restriction des relations avec l'entourage, persistance de la symptomatologie anorexique avec progressivement installation d'une sorte de dépression chronique,
il existe un certain nombre de décès par cachexie ou plus souvent encore par suicide.
1.5 Traitement :
Il est extrêmement discuté, comprenant l'hospitalisation dans les formes d'amaigrissement important, quelque fois une réanimation est nécessaire.
L'hospitalisation permet un isolement de l'anorexique d'avec son entourage et aussi une chimiothérapie lorsqu'il existe des éléments dépressifs.
En même temps que la prise en charge somatique, il est nécessaire d'y adjoindre un abord psychothérapique individuel et familial .
2 La boulimie (hyperphagies - boulimie)
Les adolescents ou adolescentes décrivent la boulimie comme une sorte d'accès marqué par une sensation de faim, accompagnée d'une grande angoisse contraignant le sujet à absorber de manière impulsive une énorme quantité d'aliments ; et à la suite de cette ingestion, une grande culpabilité qui peut conduire à des vomissements provoqués.
Sur le plan psychopathologique, on retrouve de tels accès au cours de l'évolution de l'anorexie mentale, accès cachés et souvent suivis de vomissements provoqués ; au cours des états névrotiques notamment hystériques, au cours des états dépressifs.
3 Les autres hyperphagies
La boulimie doit être distinguée de :
la phagomanie : habitude de grignoter entre les repas, non motivée par la faim,
la sitiomanie : absorption impulsive de quantités énormes de nourriture.
la voracité et la gloutonnerie : désir ardent et insatiable de manger sans prendre le temps d'apprécier,
les hyperphagies habituelles et familiales.
Elles n'ont pas de signification univoque. Elles se rapportent :
soit à une hyperphagie sans problème émotionnel, liée à des habitudes alimentaires ou à des facteurs héréditaires,
soit à des hyperphagies réactionnelles compensatrices (notamment sur le fond dépressif).