Une histoire de la génétique

Une histoire de la génétique (en jachère 2006...)

Certaines idées de cette compilation (1ère et 2ème parties) ont été empruntées aux pages de Alain Bernot et Olivier Alibert sur "La naissance de la biologie moléculaire" accessibles à l'adresse http://www.genoscope.cns.fr/externe/HistoireBM/ . De nombreux éléments sont issus des documents des manuels scolaires de terminale (par exemple Bordas, collection Tavernier, 1983, et Fernand Nathan, collection Escalier, 1983, manuels de terminale C et terminale D). Les principales données de biologie moléculaire sont essentiellement extraites de: Biologie moléculaire de la cellule, Alberts et al., 1995, Médecine-Sciences, Flammarion; Principes de Biochimie, A. Lehninger, D. Nelson et M. Cox, 1994, Médecine-Sciences, Flammarion; Gènes, B. Lewin, 1992, Médecine-Sciences, Flammarion. Les idées non-conformistes sur la logique du vivant viennent de: Le gène et la forme (ou la démythification de l'ADN), Rosine Chandebois, 1989, Ed. Espaces 34. En 2002 il faut ajouter l'ouvrage Beljanski, un novateur en biomédecine; concepts, théories, applications; C.-G. NORDAU et M.S. BELJANSKI, éd. EVI Liberty Corp, 2001. Enfin, je recommande fortement la lecture du petit article de Philippe MATHY sur "La génétique de l'album de famille" dans Biologie-Géologie (Bulletin de l'APBG), 2-1998, 319-335.
Des modifications majeures sont en cours en 2006 étant donné mon virage vers la biologie théorique. D'autres données accessibles à tous seront aussi ajoutées à la suite de la lecture de L'homme végétal : pour une autonomie du vivant, Gérard Nissim AMZALLAG, Albin Michel, 2003 (préface de Bernard Werber) et du même auteur La raison malmenée. De l'origine des idées reçues en biologie moderne, 2002, CNRS Éditions.
Je pense qu'une refonte complète s'impose, mais je n'ai pas encore le temps de m'y atteler. On m'a conseillé notamment les ouvrages de Jan Sapp: Beyond the Gene, New York: Oxford University Press, 1987; Genesis: The Evolution of Biology. New York: Oxford University Press,  2003 or Where The Truth Lies. Franz Moewus and the Origins of Molecular Biology. New York: Cambridge University Press, 1990.

Les liens renvoient au tableau historique des sciences.
Les passages en bleu sont des critiques pédagogiques qui tentent d'essayer de montrer l'urgence d'une nouvelle formulation de la vie et le retour à la méthode expérimentale.

Plan de cette page:

Des lois de transmission des caractères héréditaires aux chromosomes supports de l'hérédité

Les gènes, particules héréditaires

Les gènes, unités mutables appartenant à un groupe de liaison (le chromosome) (le gène unité de mutation et de recombinaison)

De l'information génétique au programme génétique

Une théorie de l'hérédité...

de l'information génétique à l'information cytoplasmique et retour

l'information génétique manipulée par le cytoplasme

vers une théorie de l'hérédité cellulaire

Des lois de transmission des caractères héréditaires aux chromosomes supports de l'hérédité

1. Les gènes, particules héréditaires

En 1866, le moine tchèque, Gregor Mendel (1822-1884) publie ses résultats sur des expériences menées chez le pois (Pisum sativum).

Méthode:
Mendel étudie la transmission de 7 couples de caractères (on dirait 7 caractères (qui me semble désigner maintenant une propriété visible pouvant se présenter sous plusieurs formes ou allèles) présentant chacun deux allèles) s'excluant l'un l'autre chez le Pois:

forme des graines mûres: lisse ou ridée

couleur des cotylédons: jaune ou vert intense

coloration des enveloppes des graines: blanche ou grise

forme des gousses mûres: rectiligne ou moniliforme (irrégulière)

couleur des gousses non parvenues à maturité: verte ou jaune vif

position des fleurs: axiale ou terminale

longueur des tiges: longue (1,80 m à 2,10 m) ou courte (22 cm à 50 cm)...? (et les longueurs intermédiaires ?)

2 ans sont passés à sélectionner des races pures (on dirait lignée pures), c'est à dire des plantes qui, croisées entre elles, transmettent toujours le même caractère à leurs descendants

L'autofécondation observée chez le pois permettant de maintenir des cultures sans trop de mal. Quand il désirait réaliser un hybride (croisement entre deux plants ne présentant pas le même allèle), il empêchait l'autofécondation en retirant les étamines d'un des plants et en protégeant les fleurs d'une fécondation non contrôlée par un sac de papier ou de calicot . La fécondation souhaitée était réalisée ensuite en déposant le pollen choisi sur le stigmate de la fleur protégée et émasculée à l'aide d'un pinceau.

Résultats d'expérience de monohybridisme (étude de croisement entre deux races pures ne différent que par un seul caractère)

Croisement

Caractères des parents

Caractères observés en F1 (première génération)

Caractères observés en F2 (2ème génération obtenue par croisement des individus de la F1)

Rapport entre les deux caractères de la F2

1

forme des graines: lisse ou ridée

graines lisses

5474 graines lisses,
1850 graines ridées

2,96/1

2

couleur des cotylédons: jaune ou vert intense

cotylédons jaunes

6022 graines à cotylédons jaunes,
2001 graines à cotylédons verts

3,01/1

3

coloration des enveloppes des graines: blanche ou grise

enveloppes grises

705 graines à enveloppe grise,
224 graines à enveloppe blanche

3,15/1

4

forme des gousses mûres: rectiligne ou moniliforme (irrégulière)

gousses rectilignes

676 gousse rectilignes,
229 gousses irrégulières

2,95/1

5

couleur des gousses non parvenues à maturité: verte ou jaune vif

gousses vertes

428 gousses vertes,
152 gousses jaunes

2,82/1

6

position des fleurs: axiale ou terminale

fleurs axiales

651 fleurs axiales,
207 fleurs terminales

3,14/1

7

longueur des tiges: longue ou courte

tiges longues

787 plants à tige longue,
277 plants à tige courte

2,84/1

 

Résultats d'une expérience de dihybridisme:

Mendel croise deux variétés pures de Pois différant par deux caractères.
L'une à des graines lisses et jaunes et l'autre des graines ridées et vertes.

Les 15 individus de la première génération (F1) sont tous identiques: les graines sont toutes lisse et jaunes.

Mendel laisse ensuite l'autofécondation se dérouler sur les 15 pieds (F2) puis récolte 556 graines sur les 15 pieds: il obtient:

caractères des graines

nombre de graines

proportion

graines lisses et jaunes

315

9,1/16

graines lisse et vertes

108

3,1/16

graines ridées et jaunes

101

2,9/16

graines ridées et vertes

32

0,9/16

 

Le plus extraordinaire pour nous maintenant est de voir la chance (?) qu'a eu Mendel: le pois présente 14 chromosomes (n=7) et il choisit 7 caractères, chacun étant porté par un chromosome différent ! (je ne suis pas historien et je ne sais pas si je peux me permettre une telle supposition (je ne voudrais pas offenser sa mémoire) mais il me paraît raisonnable de penser qu'il a peut-être publié uniquement les résultats des croisements facilement interprétables ?... j'ai depuis lu des critiques d'histoire des sciences qui affirment que cette sélection était tout à fait volontaire) En tout cas, une chose est sûre: il a publié les résultats obtenus pour 7 caractères indépendants. Il établit la dominance ou la récessivité d'un caractère selon sa présence en première génération (F1). Il propose l'existence dans l'oeuf fécondé de deux éléments déterminants les caractères et provenant de chacun des deux parents.

Au début du siécle John Duff reprend les conclusions de Mendel et les expose sous forme de lois qui sont dédiées à Mendel et appellées "lois de Mendel"

Les "lois de Mendel" (de John Duff)
(la formulation qui est ici proposée vient des manuels scolaires, je n'ai pas trouvé d'autre référence)

1. Loi d'uniformité des hybrides de première génération:
"la première génération d'hybrides est homogène"

tous les hybrides F1 sont semblables les uns aux autres (même phénotype et même génotype);
Pour une caractère donné:
* si les hybrides présentent le phénotype de l'un des parents, on dit que le caractère de ce parent est dominant, celui de l'autre est récessif
* si les hybrides présentent un phénotype intermédiaireentre ceux des deux parents, on dot qu'il y a codominance.

2. Loi de disjonction (ou ségrégation) des caractères en F2:
"les allèles d'un même couple se disjoignent lors de la formation des gamètes"

les individus F2 sont différents les uns des autres. Cette différence s'explique par une disjonction des caractères allèles au moment de la formation des gamètes qui sont donc purs:
* chaque gamète ne contient que l'un ou l'autre des allèles (loi de pureté des gamètes)
* les deux catégories de gamètes sont équiprobables

3. Loi d'indépendance des caractères:

les phénotypes observés montrent que la disjonction s'est faite de manière indépendante pour les divers couples d'allèles

Remarque:
cette dernière loi, reprise par des manuels plus récents (par exemple Terminale C, Bordas, 1983), s'est transformée en loi de comportement des allèles soit de façon indépendante (phénotypes parentaux et originaux en même proportion), soit de façon liée (phénotypes parentaux en plus grand nombre que les phénotypes nouveaux)

Il me semble intéressant de proposer les expériences de Mendel en tant que données historiques. Par contre la présentation des "lois de Mendel" (de John Duff) est très criticable car c'est une réadaptation à des conceptions modernes (basées sur une interprétation chromosomique qui est du domaine de l'hypothèse) de lois empiriques (établies à partir d'une analyse statistique qui est un résultat expérimental qui est toujours valable). On mélange abusivement deux conceptions.

Les limites de l'analyse statistique mendélienne sont assez difficiles à cerner mais on peut s'y essayer de façon très imparfaite:
* la notion de lignée pure statistique est dépendante d'une observation phénotypique et, étant donné que le lien n'est pas absolu entre génotype et phénotype (vois aussi cours de
terminale S), la notion de lignée pure n'est pas neutre, elle repose sur une observation statistique dont on ne connaît pas la causalité matérielle permanente (si elle existe). Il était d'usage de rappeler dans les manuels scolaires des éditions précédentes combien cette relation était complexe; on citait par exemple les animaux albinos (souris, rats...) chez qui l'albinisme était relié à des caractères comportementaux (agressivité...), ou encore chez la drosophile la découverte de plusieurs gènes différents codant pour la couleur sombre du corps (sable, ebony, black...) ; ou enfin la longueur des oreilles chez certaines races de lapins que l'on sait être sous la dépendance de plusieurs gènes additionnant leurs effets.

La liaison gène-caractère
Ces notions sont extraites de l'article de Philippe MATHY sur la génétique de l'album de famille puis complétées à ma façon

caractère mendélien s.s. = caractère monogénique

correspondance biunivoque entre génotype et phénotype (un gène - un caractère), les caractères et les gènes étant considérés comme indépendants
ces caractères sont extrêmement rares chez les plantes et les animaux, leur existence est à démontrer chez l'homme.

caractère mendélien élargi (s.l.) par exemple au sens des caractères obéissant aux lois de John Duff

polygénie

des gènes - un caractère ; tout le monde s'accorde à dire que pour l'homme la plupart des traits phénotypiques sont conditionnés par plusieurs gènes

 

pléiotropie

un gène - des caractères ; un même gène peut conditionner plusieurs caractères

 

épistasie

interaction non alléliques entre gènes : des gènes conditionnant des caractères différents pouvant moduler (gènes "modificateurs") l'aspect de l'un des caractères

 

les effets cités entre gènes ou entre caractères sont additifs et des interactions peuvent avoir lieu mais la correspondance gène-caractère n'est pas remis en cause : le gène associé au caractère mendélien au sens large est une particule transmissible héréditairement, il a un support matériel partagé par les parents et transmis aux descendants

Pour éviter une glissement de sens il suffit de définir précisément la notion de caractère ; en voici un essai en utilisant le terme matériel au sens de matière (objet des sens et quantifiable expérimentalement) :

Un caractère matériel peut être défini comme un trait phénotypique matériel de l'individu, mesurable expérimentalement à l'aide de paramètres physiques et susceptible d'être décomposé en éléments moléculaires. On peut convenir d'appeller gène ce qui est transmissible héréditairement et qui est associé à un ou plusieurs caractères et de façon plus ou moins univoque. Il est aussi essentiel de souligner que si le caractère est associé au gène, ce n'est pas le gène qui détermine ou gouverne l'apparition du caractère mais la cellule qui exprime ou non le gène. Le gène est la matière nécessaire mais pas suffisante à l'expression d'un caractère. Les caractères matériels d'un adulte ne sont pas portés par le gamète même si le gamète comporte les gènes nécessaires à l'expression de ce caractère qui pourra ou non être exprimé. Le gène est ici une particule héréditaire, une unité de transmission d'un caractère matériel.

Il est donc inadéquat de parler du caractère "couleur des yeux" si l'on se réfère à autre chose qu'à l'origine matérielle de la pigmentation de l'iris. Le déterminisme (causalité) d'un caractère matériel est donc sous le contrôle d'éléments matériels dont les gènes (au sens de portions d'ADN) sont certainement un des éléments essentiels. A ce sujet il me paraît tout à fait souhaitable, comme le propose Philippe MATHY, de remplacer les termes "gouverne" ou "contrôle" par "est associé à". Ainsi on pourra dire que chez l'homme le caractère matériel couleur des yeux est certainement associé à plusieurs gènes dont certains sont déjà connus. On peut aussi critiquer le fait d'attribuer toutes les couleurs des yeux à un caractère unique : si un caractère matériel comme yeux bleus peut être relativement clairement défini il est tout à fait possible que la couleur jaune d'un oeil ne soit plus du tout due à un problème de pigmentation mais à un problème par exemple de vascularisation. Il faut donc se méfier et essayer de déterminer les caractères matériels au plus près des molécules. Si cela est assez facile pour un procaryote, cela devient nettement plus difficile lorsque l'on s'intéresse à des eucaryotes et a fortiori à l'homme. De la même façon il est tout à fait légitime de parler du caractère "hémoglobine normale" pour un homme. Par contre le caractère "sain" ne veut rien dire, ni le caractère "agressif" ou "homosexuel". Le mot caractère, pris au sens de caractère matériel, ne s'applique pas aux composantes comportementales d'un individu, encore moins d'un homme. Toujours dans ce sens une maladie humaine est un événement qui n'est pas réductible à l'ensemble de ces caractères matériels associés à des symptômes (et donc aux gènes associés à ces caractères matériels) même s'ils constituent une voie de recherche.

Remarques :
*Pour éviter de diluer la causalité d'un caractère physiologique ou même comportemental d'un organisme on pourrait essayer de formaliser les relations entre un caractère et les composantes du vivant : matière, énergie et information. Un caractère biologique au sens large comme par exemple la mobilité d'une bactérie (pour prendre un exemple peut-être plus simple) est sous la dépendance de déterminismes matériels, énergétiques et informatifs. Par exemple pour Escherichia coli : la mobilité fait appel à des flagelles dont la structure est connue, le mécanisme de rotation et son déterminisme énergétique a même été assez clairement précisé. On connaît de façon séparée les gènes associés à chaque caractère matériel comme les protéines flagellaires, les molécules d'ATP synthase... Du point de vue éthologique, le chimiotactisme a aussi été mis en évidence et quantifié et on imagine aisément un support moléculaire avec des chimiorécepteurs... Mais que sait-on de l'information qui détermine un comportement et est-il totalement déterminé ? Actuellement la biologie moléculaire matérialiste propose une information codée par l'ADN, le comportement résultant du fonctionnement imbriqué des différentes unités du vivant matériel. le déterminisme est total. Tout comportement étant alors obligatoirement le résultat des composantes matérielles génétiques et environnementales. Le hasard n'est que le flou de la pensée (ou du programme informatique) qui ne peut arriver à imaginer (ou à modéliser et donc à calculer) l'interaction simultanée de causes aussi innombrables. Il n'y a qu'une illusion de comportement.
* Voir le nouveau (2003) cours de 1ère S pour un essai de clarification des termes de "caractère", "génotype" et "phénotype".


* tant que l'on considère un, deux, voire trois caractères, l'analyse statistique est possible mais dès que l'on atteint des cas de
polyhybridisme, l'analyse statistique expérimentale n'est plus possible: réaliser 16 384 croisements (128x128) pour tester les 128 génotypes théoriques possibles (27) que l'on peut imaginer avec 7 couples de caractères n'est pas réaliste.
* de la même manière, l'
analyse statistique des F3 qui suppose de nombreux croisements est pratiquement impossible au-delà de deux caractères.
* enfin l'application à l'étude de l'
hérédité humaine me paraît indue. Il ne peut y avoir d'analyse statistique de la descendance pour des familles qui dans le meilleurs des cas atteignent la dizaine d'enfants. Que l'on fasse une analyse héréditaire à l'aide de la méthode préalablement justifiée se conçoit mais l'étude des arbres généalogiques humains ne permet en aucun cas de trouver une justification de l'analyse statistique de la transmission des caractères (voir cours de TS).

Quel est donc l'intérêt pédagogique d'une étude mendélienne ? D'abord, un intérêt historique certain. Ensuite un apprentisssage de la méthode expérimentale en précisant bien d'une part l'hypothèse principale de Mendel (particules transmissibles support de l"hérédité) et d'autre part en présentant les résultats de croisements et l'analyse de ces résultats sans autre données que celles de Mendel. Viendra ensuite, après les observations cytologiques et chromosomiques, l'hypothèse des chromosomes, support de l'hérédité (notion très imparfaite qui n'est qu'une étape dans la démarche). Mais il est ridicule de vouloir illustrer les mécanismes cytologiques et chromosomiques de la méiose et de la fécondation à l'aide de ces analyses statistiques. Si l'on se réfère au programme de terminale S actuel c'est pourtant cette démarche qui est adoptée. On fait observer les phénomènes cytologiques et chromosomiques intervenant lors d'un cycle de reproduction. Puis on présente l'analyse statistique comme une justification des mécanismes chromosomiques. La démarche est inversée. Il est indispensable de la rectifier. (Pour un lecteur attentif de ces pages vous noterez que le problème de fond se résume d'une part à l'abandon de la méthode expérimentale, d'autre part à une conception erronnée du vivant, la vie étant réduite à des mécanismes).

Les particules, unités de l'hérédité, dont l'existence est proposée par Mendel sous forme d'hypothèse, seront nommées gènes par le biologiste danois Wilhem Johannsen (1857-1927). C'est Hugo de Vries (1848-1935) qui précise cette notion de particule élémentaire qu'il qualifie de pangènes (on peut rapprocher l'usage de ce terme avec la théorie de la pangénèse proposée par Darwin, pour qualifier sa théorie de l'hérédité des caractères acquis, courante à l'époque, qu'il faisait reposer sur l'existence de gemmules; voir par exemple le cours de TS). Il redécouvre les mêmes "lois" que Mendel en 1900. Parmi ses très nombreuses cultures, il réussit à observer dans la descendance d'une plante herbacée: Oenothera lamarckiana un petit nombre d'individus qui présentent un caractère original. Il nomme ce changement brusque mutation. (On sait depuis que cette mutation est due à une recombinaison par translocation). Il développe la théorie selon laquelle les mutations président à l'apparition de nouvelles espèces.

Résumé de l'étape 1

Mendel, Johannsen et De Vries

Certains caractères héréditaires matériels peuvent être considérés comme portés par des particules (gènes ou mieux pangènes pour bien séparer les notions) transmises aux descendants par les parents. Ces caractères matériels sont qualifiés de caractères présentant une hérédité mendélienne. Un changement brusque dans la descendance est une mutation.

2. Les gènes, unités mutables appartenant à un groupe de liaison (le chromosome)
(le gène unité de mutation et de recombinaison)

Il semble que ce soit Sutton (1903) et Boveri (1904) qui proposèrent pour la première fois d'associer les gènes aux chromosomes qui deviendraient ainsi supports de l'hérédité (le comportement des chromosomes lors de la mitose a déjà été décrit par Flemming en 1879 mais c'est vraiment au cours du début de 20ème siècle que se développent les observations cytologiques).

Remarque: le terme de chromosome est difficile à cerner. En cytologie classque il désigne une structure colorable qui contient un centromère, zone d'attachement des fibres kinétochoriales qui assurent son mouvement.. Le chromosome n'existe donc que sous forme compacte et lors d'une division. D'autre part, le chromosome prophasique ou métaphasique ne possédant qu'un centromère pour deux chromatides soeurs, le nombre de chromosomes par cellule lors de ces phases différe de la quantité d'ADN ou du nombre de copies du génome. Par extension, chaque nucléofilament a été appelé chromosome: on parlera alors des chromosomes déroulés se dupliquant en phase S de l'interphase. Ainsi certains auteurs (B. Lewin par exemple) considérent que chaque cellule entrant en mitose "posséde quatre copies de chaque chromosome" (Gènes, p23). C'est un point de vue réductionniste qui tend à considérer la division cellulaire uniquement au niveau de la transmission de l'ADN (il est de plus regrettable que les chromosomes homologues soient qualifiés de copies). Il est de loin préférable à mon sens pour le biologiste (et donc pour l'enseignant de SVT) de privilégier l'aspect cytologique. (Voir par exemple les pages sur les caryotypes de l'enseignement de spécialité de terminale S).

C'est en désirant valider ces théories sur les mutations que Thomas Morgan (1866-1945) travaille sur la mouche du vinaigre , Drosophila melanogaster. Morgan, après s'être opposé à cette théorie chromosomique de l'hérédité, en deviendra le fervent défenseur. La première mutation obtenue par Morgan est un mâle aux yeux blancs dans une population aux yeux rouges (caractère sauvage). Comme il n'apparaît que chez le mâle, l'idée lui vient de l'associer à un chromosome sexuel: c'est le premier modèle d'hérédité liée au sexe (Morgan, T.H. (1910), Sex limited inheritance in Drosophila, Science, 32, 120). En effet, chez la drosophile, comme chez de nombreux organismes, il existe une différence chromosomique entre les deux sexes: la différence la plus commune étant le remplacement de l'un des chromosomes d'une paire d'homologue par un chromosome différent dans l'un ou l'autre des sexes (comme pour l'homme qui est XY et la femme XX). Ce déterminisme chromosomique du sexe n'est pas le seul type de déterminisme mais son étude, par ailleurs fort intéressante, n'est pas l'objet de ces pages.

Hérédité liée au sexe chez la Drosophile
expériences historiques de Morgan (1910)

Morgan dispose d'une souche (sauvage) aux yeux rouges et d'un mâle aux yeux blancs apparu spontanément dans ses élevages

femelle yeux rouges X mâle yeux blancs
F1: tous les descendants ont les yeux rouges
F2: toutes les femelles ont les yeux rouges et les mâles sont pour moitié aux yeux blancs et pour moitié aux yeux rouges
F3: étape indispensable pour obtenir des femelles à yeux blancs...
mais je n'ai pas trouvé de chiffres expérimentaux
.. voici des proportions théoriques:
En supposant qu'il y a eu le même nombre de croisements entre tous les génotypes possibles et que le sexe ratio est de 1/2 on obtient une proportion de 1/16 des femelles à yeux blancs (issue d'un croisement entre un mâle à yeux blancs et une femelle hybride) et 1/8 des mâles à yeux blancs (issus pour moitié du croisement précédent (mâle yeux blancs avec femelle hybride) et pour moitié du croisement d'un mâle yeux rouges avec une femelle hybride)

Analyse formelle:
On utilisera la notation classique (+) désignant l'allèle sauvage conduisant au phénotype yeux rouges et (w) désignant l'allèle muté conduisant au phénotype yeux blancs (white). Les deux allèles portés par deux chromosomes homologues étant portés de part et d'autre d'une simple (ou double car cela se voit mieux à l'écran) barre de fraction. L'absence d'alléle porté par le chromosome homologue chez le mâle (dit hétérogamètqiue car présent chez certains gamètes chez un seul des sexes) sera désigné par la lettre y. On dit que le gène porté par la partie propre de l'X est hémizygote chez le mâle et que le caractère yeux blancs (en fait l'allèle) est lié au sexe (liaison au sexe).

femelle +//+ x w//y mâle

 

w

y

+

+//w

+//y

 

F1

toutes les femelles ont les yeux rouges (+//w) ainsi que tous les mâles (+//y)

F2

femelles +//w x +//y mâles

 

+

y

+

+//+

+//y

w

w//+

w//y

femelles à yeux rouges (pour moitié +//+ et pour moitié w//+)
mâles pour moitié à yeux rouges (+//y) et pour moitié à yeux blancs (w//y)

F3

 

+

y

+

+//+

+//y

 

 

+

y

+

+//+

+//y

w

w//+

w//y

 

 

w

y

+

+//w

+//y

 

 

w

y

+

+//w

+//y

w

w//w

w//y

 

 

les femelles à yeux blancs (w//w) apparaissent chez 1/16 des femelles et les mâles aux yeux blancs (w//y) chez 1/8 des mâles, en supposant que chaque croisement se réalise avec la même probabilité et que la proportion de mâles et de femelles est la même pour tous les croisements (cela fait beaucoup d'hypothèses et l'on comprendra que ces valeurs sont tout à fait théoriques... il ne s'agit d'ailleurs pas ici de probabilités au sens strict mais de proportions théoriques).

 

femelle yeux blancs X mâle yeux rouges
F1: toutes les femelles ont les yeux rouges et tous les mâles les yeux blancs
F2 : mâles et femelles sont chacuns pour moitié aux yeux blancs et pour moitié aux yeux rouges

femelle w//w x +//y mâle

F1

 

+

y

w

w//+

w//y


toutes les femelles ont les yeux rouges (w//+) alors que tous les mâles ont les yeux blancs (w//y)

F2

femelles w//+ x w//y mâles

 

w

y

w

w//w

w//y

+

+//w

+//y

femelles pour moitié à yeux rouges (+//w) et pour moitié à yeux blancs (w//w)
mâles pour moitié à yeux rouges (+//y) et pour moitié à yeux blancs (w//y)

même remarques que précédemment pour ces proportions théoriques

 

Remarques:

Cette expérience peut être une bonne introduction aux mutations (la mutation est définie comme un changement dans la séquence d'ADN).
La mutation yeux blancs à pu apparaître sur une chromatide avant une phase de réplication (interphase, phase S) chez certaines cellules germinales mâles ou femelles (car elle touche le chromosome sexuel dit homogamétique, c'est-à-dire identique dans les gamètes des deux sexes, c'est-à-dire le X avec le formalisme habituel). On doit alors supposer qu'elle est présente dans certains des gamètes et s'exprime alors chez le mâle car il ne possède qu'un exemplaire du gène muté si celui-ci se situe dans une zone propre au chromosome sexuel X (partie propre de l'X). Une mutation apparue chez un adulte, dans une cellule différenciée, ne se transmet pas. Elle doit apparaître dans la lignée germinale, seule transmise, ou au cours des premières divisions de l'embryon. On pourrait dire que la mutation exprimée et héréditaire est une anomalie génétique conservée (non réparée) lors de la reproduction et en cela qu'elle touche donc les cellules spécialisées (lignée germinale) ou les premières étapes du développement.
Enfin il faut que cette mutation s'exprime (il vaudrait mieux dire qu'elle modifie l'expression phénotypique habituelle de la cellule) c'est-à-dire que par exemple, dans le cas des yeux blancs, elle provoque un arrêt de la synthèse du pigment rouge normalement synthétisé par les yeux sauvages. Cela fait donc de nombreuses conditions réunies pour que cette mutation soit apparue, ai été conservée, non réparée, et s'exprime sous la forme d'une déficience pigmentaire de l'œil et n'affecte aucun (?) autre élément de l'organisme ou même n'empêche pas le fonctionnement de l'œil. Plus qu'une mutation (si l'on se réfère à la définition qui est limitée à un changement de l'ADN), il s'agit d'une véritable variation génotypique dans le sens où elle a été conservée et stabilisée par les cellules qui l'expriment mais aussi par les cellules qui ne l'expriment pas puis va être transmise comme partie intégrante du nouveau génotype par les cellules de la lignée germinale sans qu'elle empêche aucune étape du développement.

Si le caractère ou allèle "yeux blancs" peut correspondre à une mutation très ponctuelle au niveau d'un gène il ne faut pas penser que le caractère ou allèle "yeux rouges" est dû à lui seul au fonctionnement du gène non muté. En effet le phénotype sauvage "yeux rouges" correspond à un individu "intact" dont l'ensemble des informations, tant génétiques que cytoplasmiques ou encore extra cellulaires conduisent à la formation puis au fonctionnement d'un œil de mouche à facettes extrêmement complexe et dont la pigmentation est rouge vif. Dans la pratique il est fréquent que l'on parle du gène gouvernant le caractère "couleur des yeux" par exemple et que l'on considère qu'il peut se présenter sous deux allèles (sauvage et blanc ici). C'est bien sûr une simplification qui est tout à fait fausse. Si l'on peut imaginer sans trop de difficulté qu'une perturbation cause un défaut de pigmentation, on ne sait pas dans ce cas complexe (on est chez un eucaryote déjà très évolué car les Arthropodes sont considérés comme les plus complexes des invertébrés) quels sont tous les mécanismes mis en jeu dans le fonctionnement de l'œil pigmenté ou dépigmenté d'ailleurs. Ainsi, par commodité on parle d'allèle sauvage mais celui-ci n'est bien sûr défini que par référence à l'allèle muté. Il me paraît simpliste et même faux d'imaginer qu'un individu sauvage puisse être défini par l'ensemble des ses allèles sauvages, c'est une vision très réductrice de l'être vivant qui ne prend en compte que l'information génétique. Si certains généticiens imaginent qu'ils pourront connaître tous les allèles de tous les gènes c'est leur droit mais cela me semble bien présomptueux (voir tableau ci-dessus sur la liaison gène-caractère). En définitive, les termes d'allèles n'ont pas la même signification pour un allèle sauvage et un allèle muté.

La deuxième étape est la mise en forme de la notion de liaison. Morgan découvre en effet avec ses collaborateurs d'autres mutations. Lorsqu'ils étudient la transmission héréditaire de celles-ci il trouvent qu'elles forment 4 groupes de liaison: c'est-à-dire qu'elles ne se répartissent pas au hasard dans les descendants mais qu'elles présentent une liaison (linkage, en anglais): elles ont tendance à rester associées. Plus précisément Morgan et ses collaborateurs observent 4 groupes de liaison, c'est-à-dire 4 ensembles de mutations qui ont tendance à rester associées. Ils émettent alors l'hypothèse que ces quatre groupes de liaison sont assimilables aux 4 paires de chromosomes de la drosophile. La liaison étant donc "simplement le résultat mécanique de la localisation des gènes dans les chromosomes".
Il semblerait que l'hypothèse de la liaison entre les gènes ait été proposée pour la première fois par Bateson et Punnet en 1905 mais c'est Morgan qui généralisa cette idée... Morgan, à partir d'environ 400 gènes connus chez la drosophile retrouva toujours les 4 groupes de liaisons. Depuis la théorie des groupes de liaison n'a cessé de se confirmer. Voici quelques organismes avec le nombre de groupes de liaison trouvé chez chacune à comparer avec leur nombre de chromosomes :

organisme

nombre de groupes de liaison

nombre de paires de chromosomes (n)

Drosophile

4

4

Pois de senteur

7

7

Pois

7

7

Muflier

8

8

Maïs

10

10

La dernière étape concerne l'hypothèse de la disposition linéaire des gènes sur le chromosome. Cette idée est née la notion de liaison partielle obtenue pour certains gènes. En effet certains gènes, appartenant au même groupe de liaison (et donc au même chromosome d'après ce que l'on a supposé), se séparent tout de même à la méïose mais pas toujours. Pour mesurer le degré de liaison on réalise des croisements tests ou test-cross par exemple entre un hybride F1 et une double récessif parental.

Un test-cross ou croisement test

On considère deux mutations conduisant à des phénotypes récessifs:
corps noir (b pour black) et ailes vestigiales (vg); les allèles sauvages sont notés + (corps gris, ailes longues)

femelle hybride (F1) ++ // b vg X b vg // b vg mâle double récessif (parental: F0)

 

+ +

b vg

+ vg

b +

b vg

+ + // b vg

b vg // b vg

+ vg // b vg

b + // b vg

phénotypes
et
pourcentages

phénotypes parentaux

phénotypes recombinés

 

corps gris,
ailes longues
41,5%

corps noir,
ailes vestigiales
41,5%

corps gris,
ailes vestigiales
8,5%

corps noir,
ailes longues
8,5%

L'interprétation d'un test-cross se fait en terme de recombinaison. c'est-à-dire de liaison partielle: les allèles b et vg sont partiellement liés (dans 83% des cas). Ils se séparent (se recombinent entre eux dans les gamètes) pour 17% (8,5% +8,5%) des cas. On dit que le taux de recombinaison est de 17%.


L'interprétation cytologique de la liaison partielle a été proposée par Morgan comme étant un crossing-over, ou enjambement. Les chromatides échangeraient des segments lors de la méïose. Le mécanisme du crossing-over est loin d'être élucidé . Etant donné le but de ces pages je vous laisse vous reporter à des ouvrages spécialisés (Gènes par exemple, ch. 26).
Quelques remarques:
1 - Un taux de 50% de recombinaison ne peut en principe pas être atteint car cela correspond à deux gènes indépendants statistiquement. Il ne faut pas oublier que la notion de gènes liés est une notion statistique. Vu de cette manière, le chromosome est un groupe de liaison.
2 - Les crossing-over ne peuvent pas être vus, si ils existent, lorsqu'ils affectent deux chromatides d'une même chromosome ou lorsqu'ils affectent des gènes homozygotes (c'est-à-dire présentant les mêmes allèles sur la paire d'homologues d'un individu).
3 - Pourquoi le mâle de drosophile présente-t-il une liaison absolue des ses gènes alors qu'il semble que la liaison partielle soit la règle et est la plupart du temps identique chez les deux sexes ?

On en arrive à la dernière hypothèse de Morgan et des ses collaborateurs: les crossing-over ont autant de chance de se produire en tout point du chromosome: le taux de recombinaison (c'est-à-dire la fréquence des crossing-over dans leur modèle) entre deux gènes est indépendant de la nature de chaque gène, il ne dépend que de leur position relative sur le chomosome, ce qui revient à dire que le crossing-over est un phénomène mécanique (on peut aussi le présenter comme étant le fruit du hasard mais cela ne veut pas dire grand chose car les déterminismes mécaniques ne sont pas le hasard, qui, pour de nombreux biologistes, n'est que la mesure de notre ignorance). Ainsi plus deux gènes sont éloignés plus le taux de recombinaison sera élevé. C'est la notion de distance génétique. Le taux de recombinaison, c'est-à-dire la fréquence des crossing-over entre deux gènes liés, est d'autant plus élevé que les loci (le locus étant le site d'un gène) de ces gènes sont éloignés physiquement sur le chromosome. Morgan et ses collaborateurs établissent ainsi une relation entre un résultat statistique (la liaison partielle) et une distance physique. Elle leur permet d'établir des cartes factorielles qui sont la schématisation des positions respectives des gènes évaluées à partir des pourcentages de recombinaisons. Morgan présente avec Alfred Sturtevant (1891-1970) en 1913 la première carte génétique. Depuis on a défini le centiMorgan (cM) comme unité de recombinaison: 1 cM étant égal à 1% de crossing-over.
Voici quelques éléments d'une carte chromosomique ou factorielle très simplifiée de la drosophile femelle (les chiffres indiquent des distances en cM) (il semblerait que l'on ne connaisse pas de gènes positionnés avec certitude sur le chromosome Y !!!):
chromosome n°1 (X): 2 - w: oeil blanc (+ oeil rouge vif); 6 - ec : echinus: oeil rugeux (+ oeil lisse) ; 13 - cv : cross veinless: nervures transversales absentes (+ nervures transversales présentes); 43 - s : sable: corps noir (+ corps gris)- centromère
chromosme 2: 48 - b : black : corps noir (+ corps gris) ; pr : purple : oeil pourpre (+ oeil rouge vif); centromère ; 67 - vg : ailes vestigiales (+ ailes longues)
chromosome 3: -----(bras long)-----; centromère; 70 - eb : ebony: corps noir (+ corps gris)
chromosome 4: punctiforme: pas de recombinaison observées

Un insecte très particulier: la drosophile ou mouche du vinaigre (Drosophila melanogaster)
bon ou mauvais "outil" ?... les deux très certainement

Les raisons de son succès dans l'analyse génétique:

sa taille: inférieure au millimétre, on peut en élever plusieurs centaines dans un flacon en les nourissant à peu de frais de levures ; mais pas trop petite, ce qui permet les observations morphologiques directement sous la loupe binoculaire après les avoir endormies à l'éther; plus récemment la taille des larves est suffisante pour permettre des marquages isotopiques ou fluorescents facilement localisables sur des coupes, même en microscopie optique (ce qui est beaucoup plus simple que l'utilisation d'un microscope électronique à transmission comme cela est nécessaire pour les bactéries).

la briéveté de son cycle de vie (une dizaine de jours) et sa prolificité (200 à 300 oeufs par femelle pour l'ensemble de sa vie): on peut donc observer environ 30 générations par an à température ambiante.

la facilité d'obtention d'individus mutés présentant des mutation stables : Morgan a du élever de très nombreuses générations avant d'obtenir son mutant mâle à yeux blancs. A partir de 1926 Muller propose l'utilisation de rayons X qui par irradiation des adultes augmente considérablement l'apparition de phénotypes mutants stables. On connait actuellement de très nombreuses mutations stables de la drosophile (j'ai lu le chiffre de 400 mais il date certainement un peu...).

MAIS... cela ne doit pas faitre oublier certaines spécificités:

le nombre de chromosomes est très petit (4 paires) avec un déterminisme chromosomique du sexe très simple (XX chez la femelle et XY chez le mâle); la compaction du génome peut peut-être expliquer certaines caractéristiques héréditaires non généralisables...


schémas théoriques de caryotypes de drosophile femelle à gauche et mâle à droite;
les cercles représentent les centromères; 2n = 8;
3 paires d'autosomes dont une paire punctiforme et une paire d'hétérochromosomes (gonosomes)

certaines cellules larvaires en interphase comme les cellules des glandes salivaires (que les élèves connaissent bien pour les observer chez la larve de chironome, un autre petit Diptère) possédent des chromosomes géants ou chromosomes polyténiques ou polytènes (le degré de polyténie étant le nombre de copies de chaque chromatide contenue dans un chromosome géant). Ils sont moins condensés que les chromosomes classiques. Leur taille est due à une duplication des chromatides en plusieurs milliers d'exemplaires (5.000 environ chez la drosophile). Il ne semble pas que cette replication empêche la transcription des gènes actifs, cet état polytène étant un état déroulé (ce qui permet de fixer des sondes radioactives par hybridation et de localiser certains gènes). En fait on pense maintenant que les zones transcrites forment des boursouflures ou puffs (anneaux de Balbiani) mais il y a des exceptions. Ces chromosomes polyténiques peuvent être colorés aisément par des colorants basiques comme le vert de méthyl et l'on observe alors une alternance de bandes transversales claires et sombres (chomomères). Il y a donc une structure répétitive présentant une affinité particulière pour le colorant. On ne connaît pas, comme dans le cas des colorations des caryotypes, les causes moléculaires de cette affinité. Il faut noter que dans le cas de mutations (Painter semble être le premier à l'avoir montré dans les années 1930), on observe des altérations morphologiques des colorations des bandes des chromosomes polyténiques. Il a même été possible de relier certaines mutations avec l'altération d'une bande spécifique. On a donc une carte cytologique des chromosomes. Chaque bande correspond à environ 25.000 paires de bases et pour l'instant on ne connaît pas la relation qu'il existe entre une bande et le nombre d'unités de transcriptions qui sont probablement plusieurs (à lire Gènes, ch. 25).

le développement embryonnaire est très complexe comme chez de nombreux insectes et se passe par paliers (métamorphoses): on parle de développement indirect. L'oeuf, pondu par la femelle (qui le féconde au passage dans son oviducte grâce aux spermatozoïdes qu'elle a stockés lors d'un accouplement), donne naissance à une larve apode (sans pattes), vermiforme (asticot) qui se nourrit activement sans l'aide des parents et croît rapidement sans stades différenciés. Au bout de quelques jours la larve s'enpupe, c'est-à-dire se métamorphose en pupe, un stade larvaire immobile où la larve, incluse dans un membrane desséchée de couleur sombre, ne se nourrit plus et subit de nombreuses transformations morphologiques, anatomiques et physiologiques: c'est la mue imaginale qui donne l'adulte. En effet l'adulte, au bout de quelques jours à température ambiante sort de la pupe. C'est un adulte ailé, avec 3 paires de pattes et qui a déjà atteint quasiment la maturité sexuelle, d'où la briéveté du cycle (voir détails sur la page sur le développement).
Il est essentiel de noter que du fait des caractéristiques de ce développement embryonnaire (que l'on qualifie d'adapté au milieu aérien) les expériences de manipulation (d'embryologie expérimentale) sont impossibles à réaliser sur la larve ou la pupe. En effet, toute rupture de la cuticule entraîne une perte du précieux liquide protecteur et donc provoque la mort de l'embryon. Comme on ne peut pas déplacer les lignées cellulaires embryonnaires, toutes les conclusions faites sur le fonctionnement des différents gènes mis en évidence chez la drosophile ne peuvent pas prendre en compte le rôle des cellules environnantes puisqu'on ne peut pas tester expérimentalement leur action. Ainsi, d'un bon "outil" génétique, la drosophile est devenu par commodité mais indûment un mauvais "outil" de la biologie du développement. Il est toujours dangereux de prendre une seul espèce comme modèle expérimental (ces idées me semblent particulièrement importantes et viennent de Rosine Chandebois dans son livre: "Pour en finir avec le darwinisme", p 69).
Une brève de La Recherche (L'inconnu du placenta, Olivier Donnars, mai 2003, 364, p 18) met l'accent sur le lien souvent indu fait entre un gène non fonctionnel et une anomalie de développement ou une mort prématurée: ce n'est pas parceque la modification d'un gène cause la mort de l'embryon que l'on sait OU et QUAND (au niveau cellulaire) ce gène non fonctionnel a été la cause de ce qui a conduit à la mort de l'embryon. Dans le cas de la génétique du développement en milieu fermé comme on pourrait appeller les expériences sur la drosophile, on s'expose à ne jamais pouvoir comprendre OU et QUAND les pseudo-gènes du développement ont été exprimés.

Quels sont les points communs entre la carte factorielle (appelée aussi génétique ou encore chromosomique), établie par des méthodes statistiques, et la carte cytologique établie par hybridation de sondes radioactives ou par observation de modification de bandes colorées après mutation ? Globalement, la correspondance est bonne si l'on s'en tient à la disposition linéaire des gènes. Par contre les distances sont nettement différentes. mais la carte cytologique n'est pas beaucoup plus précise que la carte factorielle. On ne connaît pas le degré de compaction de l'ADN dans les chromosomes polytènes... En tout cas on ne devrait employer le terme de carte chromosomique que lorsque l'on tient compte à la fois des données statistiques et cytologiques.


Un exemple très simplifié de correspondance entre la carte factorielle et la carte cytologique
établie à partir des bandes colorées sur le chromosome X géant de la drosophile (Nathan, TC, TD, 1983)

Résumé de l'étape 2

Sutton et Boveri, Morgan et Sturtevant

Certains caractères matériels sont liés héréditairement (sont transmis avec) avec les chromosomes. Les chromosomes peuvent donc être considérés comme le support matériel de l'hérédité mendélienne. Certains caractères matériels ne sont liés que partiellement aux chromosomes (lors de la transmission ils changent de chromosome). Cette liaison partielle peut être interprétée en termes de recombinaison ou crossing-over (échanges de fragments entre chromosomes). La mesure de la fréquence des ces recombinaisons de façon statistique est interprétée en termes de distance entre les gènes disposés linéairement sur le chromosomes, le crossing-over ayant autant de chance de se produire en tout point du chromosome. Ces distances permettent d'établir une carte factorielle (ou statistique ou génétique ou chromosomique s.s.) des gènes chromosomiques portant les caractères matériels transmis selon les lois énoncées ci-dessus.

Certaines mutations ont aussi un support chromosomique qui peut être mis en évidence par les techniques de colorations de bandes des chromosomes. On établit ainsi une carte cytologique des gènes associés aux mutations.

Les gènes sont donc alors des unités de recombinaison et de mutation : un gène est une unité mutable appartenant à un groupe de liaison (statistique) : le chromosome.

La plupart des caractères matériels peuvent être associés à un ou plusieurs gènes chromosomiques. Pangènes et gènes sont des notions qui se recoupent mais ne se superposent pas. On peut parler d'un modèle héréditaire chromosomique.

De l'information génétique au programme génétique

La deuxième étape pourrait être qualifiée de période de domination des biochimistes et des physiciens. Elle correspond au passage de la notion de gène "héréditaire", particule chromosomique et support des caractères héréditaires au gène "fonctionnel", séquence de nucléotides, exprimé par la cellule sous forme d'une chaîne polypetidique. Puis, par une dérive dont on peut essayer de retrouver l'origine, les gènes fonctionnels ont été assimilés aux gènes héréditaires associés aux caractères des organismes. Nous critiquerons cette démarche en prônant un retour de la prééminence de la biologie sur la chimie, du moins pour ces questions sur le vivant.

Il est difficile d'arriver à savoir quand a pris forme la théorie de l'information génétique telle qu'elle est comprise par nombre de nos contemporains. Il semble que certains physiciens et chimistes y soient pour beaucoup (il est intéressant de noter que nombre des chercheurs cités dans cette page ont commencé par des études de physique et de chimie et ne sont venus à la biologie moléculaire que plus tard). Max Delbrück (1906-1981) qui fit partie du groupe du phage, et qui proposa notamment une interprétation quantique des mutations qui représenteraient un saut entre deux états stables du gène, semble avoir influencé Erwin Schrödinger (1887-1961) qui dans son livre "Qu'est-ce que la vie ?", publié en 1944, parle déjà de programme génétique (?) en ces termes "ces chromosomes (...) qui contiennent sous la forme d'une espèce de code le modèle intégral du développement futur de l'individu et de son fonctionnement dans l'état adulte" (cité dans "La naissance de la biologie moléculaire"). On peut aussi souligner le rôle de Linus Pauling (1901-1994) qui, en plus de ses découvertes fondamentales en chimie publiées notamment dans "La nature de la liaison chimique" en 1939 et "Chimie générale" en 1947, est celui qui a montré le rôle essentiel des liaisons faibles en biochimie (une bonne part de la compréhension moléculaire que l'on a du vivant actuellement est due à ses idées), mais il est aussi le découvreur des hélice alpha et feuillets béta des protéines avec Corey en 1951, ou encore celui qui proposé, en 1965, avec Emile Zuckerkandl, le concept d'horloge moléculaire.

C'est Archibald Garrod (1857-?) qui exprime la première fois la possible relation entre un gène et une enzyme. Il travaille sur une anomalie métabolique humaine: l'alcaptonurie, qui affecte le métabolisme de la tyrosine et de la phénylalanine (voir phénylcétonurie). Il propose en 1909 dans un article intitulé "Les erreurs innées du métabolisme", de justifier des déficiences enzymatiques héréditaires de l'homme (albinisme, cystinurie, pentosurie...) par des anomalies génétiques dues à l'inactivation de gènes codant pour certaines enzymes. Mais c'est George Wells Beadle (1903-1989) et Edward Tatum qui, en 1941, établissent de façon expérimentale cette relation chez les mutants métaboliques de Neurospora crassa.

Expérience de Beadle et Tatum (1941) sur Neurospora crassa

d'après Belin, Spécialité SVT, 2002, p 145

Beadle et Tatum isolent des souches mutantes (que l'on qualifierait d'auxotrophes) de N. crassa qui ne se développent pas sans apport supplémentaire de tryptophane (un aa qu'elles sont d'habitude capables de synthétiser) obtenues par irradiation aux rayons X (ce que l'on appellerait maintenant une mutagenèse dirigée). Plusieurs souches sont obtenues pour lesquelles l'apport de tryptophane peut être remplacé par celui d'acide anthranilique ou encore d'indole. Ces souches sont ensuite croisées entre elles.

+ désigne une croissance du mycélium sur chaque milieu considéré

groupe 1

groupe 2

groupe 3

milieu minimum (MM)
(sucres, sels minéraux, biotine (vitamine)...)

-

-

-

MM + acide anthranilique

+

-

-

MM + indole

+

+

-

MM + tryptophane

+

+

+

 

L'interprétation de Beadle et Tatum consiste dans l'association d'un déficit métabolique (transmissible héréditairement avec les lois de l'hérédité chromosomique) avec une mutation dans un gène qui devient alors une unité fonctionnelle associé à la synthèse d'une enzyme. La connaissance d'une chaîne métabolique conduisant au tryptophane date aussi de cette époque. Elle a cependant été précisée car elle est très complexe et ne présente pas une seule voie, c'est un réseau métabolique. La synthèse du tryptophane est très bien connue par exemple chez les bactéries et a fourni un exemple de régulation génétique classique (opéron trp).

Ces croisements sont bien sûr facilités par le fait que les mycélium sont haploïdes. La phase diploïde est réduite au zygote, obtenu à la suite de la fécondation de deux mycéliums compatibles, qui subit très rapidement une méiose.

+ désigne une croissance sur MM du mycélium issu de la spore obtenue par croisement des mycéliums de chaque groupe

groupe 1

groupe 2

groupe 3

groupe 1

-

+

+

groupe 2

+

-

+

groupe 3

+

+

-

Ces croisements sont ce que l'on apelle des tests de complémentation. Si les mutations sont situées dans la même unité fonctionnelle (le même gène donc), la fécondation de deux souches donne des mycéliums qui possèdent la même déficience métabolique que les souches croisées. Si les mutations sont situés dans des gènes différents (mais qui conduisent au même phénotype), les défisciences peuvent se compenser (les étapes métaboliques se complètent ou se complémentent) et l'on peut obtenir un mycélium qui ne présente plus de défiscience apparente.

Les trois groupes (1, 2 et 3) sont des souches qui sont auxotrophes au Tryptophane. Mais chacune présente une mutation dans un gène spécifique puisque toutes complémentent. La chaîne métabolique la plus simple que l'on peut proposer pour interpréter ces résultats est

Précurseur ----(1)----> acide anthranilique ----(2)----> indole ----(3)----> tryptophane

Chaque gène (unité mutable) étant associé à la fonction enzymatique (unité fonctionnelle) permettant le passage d'une substance à l'autre.

C'est Fred Griffith (1877-1941), en 1928, qui découvre la transormation bactérienne, mais s'il prouve la présence d'un facteur transformant, il ne le met pas en relation avec l'ADN, ce qui ne sera fait que 10 ans plus tard par Oswald Avery et ses collègues.

Expérience de Fred Griffith (1928)
avec commentaires à partir du vocabulaire et des notions actuels

Il utilise deux souches de pneumocoques. La bactérie Streptococcus pneumoniae (ou Pneumococcus), est virulente grâce notamment à une capsule polysaccharidique qui la protège de la lyse lors de la phagocytose. On parle de forme S (smooth = lisse en anglais) car la colonie sur gélose prend un aspect lisse et brillant. Il apparaît dans les cultures des souches R par mutation qui perdent leur capsule. Les colonies de souches R ont un aspect rugueux et mat (rough = rugueux en anglais). Il existe plusieurs souches nommées SI-RI, SII-RII, SIII-RIII suivant les types de polysaccharides de la capsule. Il existe des mutations reverse mais toujours au sein d'une même souche (RII vers SII par exemple).

Griffith, en 1928, inocule à une souris une petite quantité de pneumocoques RII avec une grande quantité de pneumocoques SIII "tués" à 60°C pendant 30 min. Le sang prélevé sur des souris sacrifiées ultérieurement est mis en culture et il apparaît des bactéries de forme SIII vivantes et virulentes (avec une capsule).

Griffith suggère que le SIII tués ont fourni une protéine spécifique aux RII leur permettant de fabriquer une capsule. Il existe donc une transformation de la souche RII en souche SIII à moins de proposer une reviviscence des SIII. Ce principe transformant reste à découvrir.

Quelques points d'analyse de cette expérience:

une mutation reverse aurait donné des SII

on pourrait imaginer que les RII se glissent dans les capsules des SIII, mais si l'on réalise l'expérience avec des SIII débarassées de leur capsule on obtient toujours des SIII vivantes avec une capsule

le traitement à 60°C est suffisant pour dénaturer les protéines (de façon irréversible): jamais aucune souche "tuée" ne devient virulente, sauf par mutation...

Ayant trouvé sur internet la publication originale de Griffith, mon analyse a quelque peu changé: voir une page complémentaire

C'est Oswald Avery (1877-1955) et ses collègues Colin McLeod et McLyn McCarthy, qui réussisent à purifier le facteur transformant du pneumocoque après d'innombrables tentatives infructueuses de nombreux chercheurs pendant 10 ans. Leur publication date de 1944.

En analysant ces deux expériences dans une perspective moderne, on a donc la preuve que l'ADN est une molécule transmissible et suceptible d'être utilisée par une cellule procaryote pour modifier une de ses caractéristiques structurales : ici la synthèse d'une capsule. Voir une page complémentaire

A partir de 1937, Max Delbrück (1906-1981) travaille sur le bactériophage et fonde ce qui va devenir la "Groupe du phage" avec l'arrivée en 1941 de Salvador Luria puis de Alfred Hershey en 1943. Une publication marquante de ces années est l'expérience complémentaire de Alfred Hershey et Martha Chase de 1952 qui confirme le rôle de l'ADN comme porteur de l'information génétique du phage T2.

Expérience de Hershey et Chase, 1952

Le 32P est utilisé comme traceur pour l'ADN et le 35S pour les protéines. L'expérience utilise des bactériophages T2 qui se reproduisent dans une bactérie: Escherichia coli.
Deux lots de virions sont incubés en présence d'E. coli: le lot 1 possède de l'ADN marqué au 32P et le lot 2 des protéines de la capside marquées au 35S. Chaque culture est ensuite mixée et centrifugée.
Pour le lot 1, c'est le culot qui est radioactif (30% de la radioactivité initiale), alors que c'est le surnageant du lot 2 qui est radioactif.
Les culots sont mis en culture et produisent des virus. On observe une radioactivité de 30% de la radioactivité initiale dans le lot 1

Lors de l'infection virale étudiée, c'est donc bien l'ADN du phage T2 (et non les protéines de la capsule) qui contient l'information génétique et est transféré à la cellule hôte. Cet ADN contient l'information nécessaire à la synthèse de nouveaux virions par la cellule hôte.

Toujours dans la même optique cette expérience prouve que l'ADN contenu dans les virus et injecté dans les cellules hôtes bactériennes peut être utilisé par celles-ci pour produire de nouvelles particules virales.

Cette expérience semble avoir eu un retentissement très grand notamment du fait qu'elle fut publiée à peu près en même temps que le modèle de la structure de la molécule d'ADN en 1953 par James Dewey Watson (1928-) et Francis Harry Compton Crick (1916-). Le modèle en double hélice a été élaboré à partir de la composition chimique de l'ADN, notamment grâce aux travaux de Erwin Chargraff (1905-) (qui avait montré que, pour toute molécule d'ADN, le nombre de molécules d'adénine est égal au nombre de molécules de thymine (A=T) et que celui de cytosine est égal à celui de guanine (C=G)), des clichés de diffraction X d'ADN cristallisé obtenus par Maurice Wilkins et de Rosalind Franklin décédée prématuremment (1920-1958) (clichés publiés en 1953 dans le même numéro de nature que celui présentant le modèle de Watson et Crick et différenciant deux formes de la molécule: forme A et B (hydratée)), et des clichés de microscopie électronique qui montraient une molécule de 2 nm de diamètre. Watson et Crick proposent déjà dans leur article de 1953 un modèle d'appariement des bases pour la réplication de la molécule.

Mais ce qui paraît maintenant fondamental pour la direction qu'a prise la biologie moléculaire à partir des années 1940 c'est surtout le rejet de toutes les explications finalistes au sens de d'orientées par la vie, phénomène propre du vivant et irréductible à la chimie. Le hasard, qui n'est pas sans rappeller la réversibilité des lois physiques, devient la seule EXPLICATION ACCEPTÉE pour tout DÉTERMINISME (ce qui, philosophiquement est un comble, voir par exemple la page sur les niveaux d'organisation du vivant, les biologistes ayant toujours préféré la formulation utilisant les 3 grandes fonctions; nutrition, relation et reproduction, que l'on peut qualifier d'autonomie ou de travail; en ce qui concerne la finalité on peut lire le petit livre de Dominique LETELLIER: La question du hasard dans l'évolution; la philosophie à l'épreuve de la biologie, L'Harmattan, Col. Ouverture philosophique, 2002, voir aussi le début du cours de TS). La domination des physiciens et chimistes américains d'adoption et passés au vivant grâce au soutien d'instituts privés comme le Rockfeller Center n'y est sans doute pas étrangère.
Le premier article que l'on rattache à cette vision semble être celui de Luria et Delbruck (Luria, S. E., and M. Delbrück, 1943. Mutations of bacteria from virus sensitivity to virus resistance. Genetics, 28: 491&endash;511 - disponible à l'adresse: http://www.esp.org/foundations/genetics/classical/holdings/l/slmd-43.pdf).

 

 

Il me semble qu'il faut séparer deux démarches, mêmes si historiquement, elles ont été mêlées :

l'identification de l'ADN comme support de l'information conduisant à la synthèse des protéines et qualifiée d'information génétique ; étant donné le but de ces pages, cette partie ne sera pas reprise ici ; je renvoie par exemple à Gènes, partie 2 : transformer les gènes en protéines, pp 95-158 ; il est bien évident que selon le point de vue adopté les mécanismes moléculaires n'ont pas la même signification. De même les données encore très partielles sur la structuration de cette information : voir par exemple les parties 3, 5 7 de Gènes.

On peut donc affirmer désormais qu'un gène est une portion d'ADN de séquence spécifique qui code pour la synthèse d'une molécule fonctionnelle: la plupart du temps un polypetide mais parfois aussi un ARN. Les gènes sont toujours considérés comme organisés linéairement sur les chromosomes mais ils sont morcelés (maturation des ARNm, découverte des introns et des exons chez quasiment tous les eucaryotes) et peuvent se chevaucher. Les gènes possédent des séquences de début et de fin dont l'étude est loin d'être finie, ils peuvent se déplacer le long des chromosomes (gènes "sauteurs"). Certains gènes sont portés par de l'ADN non chromosomique (plasmides) ou extranucléaire (mitochondries, chloroplastes).

On peut signaler la notion de cistron qui étant une sous-unité fonctionnelle du gène déterminée à partir des mutants: deux mutants présentant des défisciences métaboliques individuelles complémentaient, c'est-à-dire qu'un individu avec un génotype issu de la réunion de leur génome muté ne présentait plus de défiscience. Actuellement, cette notion, inutilement surajoutée au gène, semble être abandonnée. Il suffit de présenter un cistron comme un gène.

Les gènes sont des unités fonctionnelles et non plus héréditaires. La composante héréditaire du gène est maintenant inscrite dans ce que nous savons de l'hérédité chromosomique. Le gène n'est plus une unité héréditaire attachée à un caractère.

Il faut aussi souligner une confusion de vocabulaire sur le code génétique. Une des caractéristiques de l'ambiance moderne est justement de refuser un sens véritable et immuable à un nom. C'est inadmissible en science. Il faut être ferme là-dessus. Le code génétique désigne la correspondance entre les codons de l'ARN messager et les acides aminés des protéines. Toute autre notion doit être exprimée avec un autre nom. Notamment la correspondance (qui n'est que supposition) entre une séquence d'ADN et une étape du développement, ou l'apparition d'un caractère...Il ne faut pas accepter que le sens soit étendu au programme génétique.

la recherche de la liaison entre l'information génétique définie ci-dessus et les caractères d'un organisme, c'est à dire la signification même de cette information. Ce sont juste quelques idées relatives à ces questions que je souhaite développer ici et dans une optique bien particulière exprimée dans les pages sur la diversité du vivant.

Les gènes fonctionnels sont des séquences d'ADN manipulées par la cellule et codant pour un produit fonctionnel (polypeptide, ARN...)

Actuellement, la notion d'information génétique est souvent confondue avec la notion, tout à fait différente de programme génétique. Si la première est tout à fait justifiée au vu des résultats de la génétique, la seconde est pour le moins contestable et ne semble reposer sur aucun résultat probant (voir cours de seconde, partie II et les commentaires du programme de seconde). Je me suis aussi efforcé de présenter une interprétation critique des résultats de la génétique du développement vulgarisés (reposant tous sur la notion de programme génétique de développement) accessibles aux enseignants du secondaire dans un longue page sur le développement.

 

Résumé de l'étape 3

Garrod, Beadle et Tatum, Griffith, Avery, Mc Leod et Mc Carthy, Hershey et Chase, Watson et Crick, Wilkins et Franklin, Schrödinger et Pauling

Le gène est une unité fonctionnelle : c'est une portion d'ADN de séquence spécifique qui code pour la synthèse d'une molécule fonctionnelle. La mutation est un changement de séquence de l'ADN.

Certains biologistes moléculaires superposent la notion de gène, unité fonctionnelle et celle de gène, particule héréditaire. C'est cette notion qui est la plupart du temps enseignée dans le secondaire. L'ADN, scindé en sous-unités fonctionnelles, les gènes, est la molécule de l'hérédité. Les lois de transmission de l'ADN sont les lois de l'hérédité. On passe donc à un modèle moléculaire de l'hérédité. Certains vont jusqu'à réduire l'individualité d'un être vivant à l'originalité de son génome.

Ces théories ont été élaborées d'une part à partir des virus et d'autre part à partir des procaryotes. Dès que l'on s'adresse à des eucaryotes on revient au modèle chromosomique qui n'est pas réductible au modèle moléculaire.

Une théorie de l'hérédité...

1. de l'information génétique à l'information cytoplasmique et retour

Parler d'une information cytoplasmique qui puisse être transmise de façon héréditaire toute comme l'information génétique de l'ADN repose sur des données expérimentales acquises dans les expériences d'embryologie (voir page sur le développement).
Une autre voie, vraiment novatrice, a été ouverte grâce à la connaissance des ARN, qui peuvent être considérés non pas comme des produits de l'activité des gènes et donc de l'ADN, mais comme des molécules informatives, capables notamment de transmettre une information à d'autres cellules et même de s'intégrer à l'information génétique d'une cellule procaryote. On sait que certains ARN ont des propriétés catalytiques (ribozymes). D'autres ont donc aussi la propriété de pouvoir manipuler l'ADN. La cellule pouvant même transférer cette information de son support d'ARN à un support d'ADN et l'intégrer ainsi à son génome.
Voici des expériences peu médiatisées au sujet de l'information portée par les ARN (pour les références d'autres articles originaux voir Beljanski, un novateur en biomédecine; concepts, théories, applications; C.-G. NORDAU et M.S. BELJANSKI, éd. EVI Liberty Corp, 2001):

Expérience(s) de M. Beljanski, M.S. Beljanski, P. Manigaut, P. Bougarel (1971, 1972...1986)
ARN transformants
M. Beljanski, M.S. Beljanski, P. Bougarel, ARN transformants porteurs de caractères héréditaires chez Escherichia coli showdomycino-résistant, C.R. Acad. Sci., 1971, 272, pp 2107-2110 (série D)


Schémas réalisés d'après une description des expériences (in Nordau et Beljanski) sans avoir eu accès aux publications originales...
La Showdomycine, antibiotique extrait d'un champignon (Streptomyces) d'extrême Orient est un nucléoside naturel proche de l'uridine qui semble donc pouvoir interagir avec les acides ribonucléiques. E. coli développe très facilement une résistance à cet antibiotique.

Les ARN libérés dans le milieu par les souches résistantes sont présents dans les souches sauvages mais ils ne sont libérés que chez les souches mutées. Les auteurs pensent que ces ARN sont fixés normalement à l'ADN (épisomes à ARN) et stabilisent ainsi sa structure (M. Beljanski, M.S. Beljanski et P. Bougarel, "Épisomes à ARN" porté par l'ADN d' Escherichia coli sauvage et showdomycino-résistant, C.R. Acad. Sci., 1971, 272, pp 2736-2739 (série D))
Dans la culture (4) il n'y a pas de transformation si l'on ajoute une ribonucléase (enzyme dégradant les ARN).
La croissance des souches mutées résistantes est toujours légèrement supérieure à celle des bactéries sauvages. Ceci est interprété par à un relâchement de la chaîne d'ADN qui favorise les synthèses dans la souche mutée résistante.
Les ARN transformants ne s'hybrident que très peu à l'ADN des souches sauvage ou mutante, il est donc peu probable qu'ils proviennent de la transcription de gènes. Leur origine pourrait être la PNPase (PolyNucléotide Phosphorylase), extraite des mutants (et des souches sauvages) et capable de synthétiser des ARN synthétiques (poly AGUC) dont les teneurs respectives en A,U, G et C ne dépendent pas que de la teneur en chacune des bases dans le milieu (si les 4 bases sont en quantité égale, l'ARN synthétisé contient 2 fois plus de bases puriques que pyrimidiques, comme dans le cas des ARN transformants). Mais la PNPase peut aussi synthétiser de l'ARN à partir d'un brin matrice. In vivo la PNPase est toujours liée à de petites quantitées d'ARN. Chez les mutants Showdomycine résistants, elle est liée à l'ARN transformant, ce qui suggère qu'elle en est bien à l'origine, tout en l'utilisant comme matrice.
La Showdomycine est inefficace sur l'activité de l'ARN polymérase ADN dépendante.


Interprétations proposées...

Des souches d'Agrobacterium tumefaciens , une bactérie bien connue pour sa capacité à développer des cals (tumeurs végétales), sont ensuite exposés in vitro aux ARN transformants d'E. coli. Elles sont alors transformées et perdent leur pouvoir tumorigène tout en acquérant d'autres propriétés (M. Beljanski, M.S. Beljanski, P. Manigaut, P. Bougarel, Transformation of Agrobacterium tumefaciens into a non-oncogenic species by an Escherichia coli ARN, Proc. Nat. Acad. Sci. (USA), 1972, 69, pp 191-195). Cette transformation est réellement l'acquisition d'une nouvelle information génétique car ces bactéries transformées ne gardent pas la trace de l'ARN transformant. L'équipe va donc alors rechercher comment une information venant de l'ARN a pu s'intégrer au génome. Et c'est la découverte de transcriptase réverse (retrotranscriptase ou transcriptase inverse permettant la synthèse d'ADN à partir d'une matrice d'ARN) non seulement chez Escherichia coli (M. Beljanski, Synthèse in vitro de l'ADN par une transcriptase d' Escherichia coli, C.R. Acad. Sci., 1972, 274, pp 2801-2804 (série D) et M. Beljanski, M.S. Beljanski, RNA-bound Reverse Transcriptase in Escherichia coli and in vitro synthesis of a complementary DNA, Biochemical genetics, 1974, 12, pp 163-180)) mais ensuite chez Agrobacterium tumefaciens (M. Beljanski, P. Manigault, Genetic transformation of bacteria by RNA and loss of oncogenic power properties of Agrobacterium tumefaciens. Transforming RNA as template for DNA synthesis, Sixth Miles International Symposium on Molecular Biology,. Ed. F. Beers and R.C. Tilghman, The Johns Hopkins University Press, Baltimore, 1972, pp 81-97; M. Beljanski, Séparation de la transcriptase inverse de l'ADN polymérase ADN dépendante. Analyse de l'ADN synthétisé sur le modèle de l'ARN transformant, C.R. Acad. Sci. , 1973, 276, pp 1625-1628 (série D)) puis chez Neurospora crassa (S.K. Dutta, M. Beljanski, P. Bougarel, Endogenous RNA-bound RNA dependant DNA polymerase activity in Neurospora crassa, Exp. Mycology, 1977, 1, pp 173-182) puis dans des œufs de poisson (M. Beljanski, L.C. Niu, M.S. Beljanski, S. Yan, M.C. Niu, Iron stimulated RNA-dependant DNA polymerase activity from goldfish eggs, Cellular and Molecular Biology, 34, 1988, pp 17-25), toujours par des équipes travaillant avec M. Beljanski. La découverte d'une transcriptase inverse chez un virus revient à Temin (1970).

L'ARN, avec les travaux de Beljanski, est reconnu comme vraiment transformant c'est-à-dire capable de transmettre une information génétique au sens large ou héréditaire chez les Procaryotes entre bactéries de la même espèce (transformer une souche bactérienne non résistante en une souche résistante, de façon stable) puis entre bactéries d'espèces différentes (à partir d'un ARN transformant d'E. coli, Agrobacterium tumefaciens perd son pouvoir tumorigène, grâce à l'insertion d'un nouvel ADN issu de la transcription inverse de l'ARN transformant). L'information génétique ou plutôt héréditaire peut donc passer par l'ARN. Dans le cas des épisomes à ARN, cette information peut donc venir de l'ARN, être transmise sous forme d'ARN, puis être intégrée au génome sous forme d'ADN.

L'information génétique peut donc aller de l'ADN à l'ARN mais aussi de l'ARN à l'ADN de façon stable et transmettre ainsi une propriété nouvelle intégrée au génome.
Depuis d'innombrables travaux ont mis en évidence l'importance des ARN chez les Procaryotes et les Eucaryotes, en association avec l'ADN sous forme d'hybrides d'ADN-ARN (probablement issu d'une "transcription inverse") , ou sous forme d'ADN d'origine non nucléaire.


Le devenir des ARN transformants:
hybride ARN-ADN stabilisé, ARN libre actif, intégré à l'ADN sous forme d'ADN, associé à l'ADN sous forme d'épisome...

Ces travaux sont encore très partiels et presque limités à des bactéries. Mais on peut sans aucun doute continuer à travailler dans ce sens (ceci est un appel à des vocations de jeunes chercheurs). Il existe de nombreux cas où les cellules synthétisent de grandes quantité d'ARN, tout particulièrement dans les ovocytes, surtout chez les amphibiens. Ces ARN ont naturellement été considérés comme des ARN messagers. Mais les travaux de Beljanski pourraient nous faire voir tout différemment ces synthèses (voir page sur le développement): des ARN courts pourraient ainsi constituer des épisomes ou des matrices pour des fragments d'ADN qui s'inséreraient dans le génome puis qui seraient ainsi transmis dans certaines lignées.

2. l'information génétique manipulée par le cytoplasme

M. Beljanski a ensuite surtout porté ses recherches dans le domaine médical dans un but appliqué: trouver des molécules qui stabilisent l'ADN dont la déstabilisation (rupture des liaisons faibles et ouverture de la double hélice) semble bien être la cause des cancers (voir page sur le cancer). Ses travaux l'ont ainsi conduit à isoler des ARN-fragments, c'est-à-dire de petits ARN courts (quelques dizaines de nucléotides) issus de la dégradation d'ARN ribosomiaux notamment (ARN amorceurs puis ARN antisens) qui lui ont permis de stabiliser l'ADN de cellules cancéreuses de mammifères et puis de cellules cancéreuses humaines. Je renvoie à l'ouvrage Beljanski, un novateur en biomédecine; concepts, théories, applications; C.-G. NORDAU et M.S. BELJANSKI, éd. EVI Liberty Corp, 2001 pour une bibliographie.
Cependant, M. Beljanski a tout de même eu le temps de développer une théorie passionnante sur l'expression de l'information génétique qui a été reprise par R. Chandebois dans son ouvrage Le gène et la forme et dans une moindre mesure dans Comment les cellules construisent l'animal (voir bibliographie). En voici un bref aperçu:

Théorie de la régulation de l'expression de l'information génétique ADN dépendante par stabilisation-déstabilisation de l'ADN
(M. Beljanski, Activation et inactivation des gènes. Incidence en cancérologie., Aspect de la recherche, Université de Paris Sud, 1985, pp 56-62; M. Beljanski, The regulation of DNA Replication and Transcription. The Role of Trigger Molecules in Normal and Malignant gene expression, Experimental Biology and Medecine, vol. 8, Karger, 1983, pp 1-190)
Théorie reprise et élargie au développement par Rosine
Chandebois dans Le gène et la forme (ou la démythification de l'ADN), Rosine Chandebois, 1989, Ed. Espaces 34, p 67 à 74.


Des substances chimiques comme les cancérogènes (en violet) peuvent stabiliser ou déstabiliser l'hélice d'ADN, ce qui rend plus accessible ou au contraire moins accessible certains gènes aux complexes enzymatiques de réplication (ADN polymérase) et de transcription (ARN polymérase). Ce schéma est juste à but d'illustration et ne correspond à aucun résultat expérimental précis (d'après Beljanski, un novateur en biomédecine, p 42).

Plus la transcription est importante et rapide plus les chaînes d'ADN s'écartent au site de transcription mais se ressèrent sur les sites adjacents, qui deviennent quiescents , par force (c'est un phénomène mécanique), par manque d'espace pour l'accès de l'ARN polymérase aux gènes. Les histones pourraient vérouiller les sites non accessibles aux enzymes de transcription où limiter leur transcription en-dessous d'un certain seuil (métabolisme larvé, résiduel ou encore "de luxe").

Ainsi des protéines, des ARN, des substances très variées, comme les cancérogènes, pourraient venir manipuler spatialement (mécaniquement) l'ADN et contrôler ainsi l'expression de ses gènes, non pas par des produits isssus de l'activité de tel ou tel gène "régulateur", mais de façon beaucoup plus complexe (car moins localisé et plus interpénétré) mais aussi beaucoup plus simple (en échappant aussi au concept du gène régulateur, réglé lui-même par un autre gène et ainsi de suite), par des produits très variés du métabolisme ou de la communication entre cellules.
Cette théorie est un grand soutien à l'idée d'information génétique, manipulée par une information cytoplasmique, elle-même sous la dépendance d'une information extracellulaire.

Mais il est sûr qu'il y a encore beaucoup de travail à faire. Trouver des molécules régulatrices synthétisées sans le concours de gènes spécifiques comme pour les cancérogènes, est certainement une voie de recherche ouverte. Cette théorie n'en est encore qu'à ses balbutiements.

3. vers une théorie de l'hérédité cellulaire

Quelques points non ordonnés pour l'instant :

D'abord il y a un problème de signification :
Ce n'est pas le même type de transmission héréditaire que l'on étudie quand on s'intéresse à la pénétration de l'ADN d'un bactériophage dans une bactérie, ou un échange d'ADN par pont cytoplasmique entre deux bactéries, ou encore une mitose ou une méïose chez un eucaryote (et encore faut-il accepter de composer avec les caractéres individuels de chaque reproduction dans chaque espèce...). Il y a certes transmission de matériel génétique mais celui-ci n'a pas forcément la même signification dans chaque cas. Je renvoie par exemple à l'article : Echanges de gènes entre bactéries, Robert MILLER, 1998, La Recherche, 245, mars 1998, 60-65. Je propose de ne pas considérer les échanges de gènes de ce type comme faisant partie des fonctions de reproduction mais bien des fonctions de relation. Echanger de l'ADN est, pour ces bactéries, un moyen de communiquer. D'ailleurs les lois de recombinaison des gènes bactériens n'obéissent pas du tout à l'hérédité mendélienne. De la même façon, les virus n'étant pas des êtres vivants (voir discussion dans les pages sur la diversité du vivant), les échanges d'ADN par les virus font partie des relations entre organismes (cellulaires donc).

Ensuite, il y a un problème d'échelle :
La linéarité des gènes héréditaires (mise en évidence par l'hérédité morganienne) n'est pas du même ordre de grandeur que celle des gènes fonctionnels mis en évidence par la biologie moléculaire. Quand on change d'ordre de grandeur il est fréquent que l'on change de mécanisme ou plutôt que l'on soit obligé de changer de modèle pour expliquer les mécanismes du réél.
Je remarque que Lewin fait un raisonnement inverse dans Gènes p 73 : "Nous n'avons aucune raison de croire que la situation serait différente chez les eucaryotes si nous étions à même de réaliser une cartographie génétique fine".

Le gène, unité d'information génétique est considéré comme stable, voire immuable, lorsqu'on l'utilise dans une empreinte génétique ou une cartographie de restriction. Alors que l'on sait bien que le génome est parfois mobile et que de nombreuses modifications du génome n'altérent pas le fonctionnement cellulaire.Comment se fier à la position de sites de restriction pour caractériser l'ADN d'un individu alors que l'on ne sait même pas si toutes les cellules possédent bien effectivement les mêmes séquences (on ne l'a pas testé puisque le génome d'une seule cellule humaine n'est même pas séquencé) : on part du postulat de départ que l'information génétique est répliquée sans aucune erreur et entiérement à chaque division depuis la cellule oeuf. Ce qui est peut-être vrai pour une bactérie ne l'est pas forcément pour l'homme.

La notion d'unité de recombinaison n'a pas du tout le même sens si l'on s'adresse aux procaryotes et aux eucaryotes. La recombinaison proposée comme interprétation de la liaison partielle entre deux caractères n'est pas du forcément la même que la recombinaison dite généralisée étudiée expérimentalement chez quelques procaryotes et quelques eucaryotes. La manipulation du génome, la plupart du temps in vitro, ne justifie pas l'interprétation de la liaison partielle.

Tableau essayant de rendre compte des différentes échelles d'étude du "génome"

"organisme"

taille du "génome" en (paires de) bases

matériel "génétique"

nombre de gènes fonctionnels estimé par la biologie moléculaire

nombre d'unités de carte factorielle connues

(carte génétique ou statistique en (paires de) bases

taille théorique de l'unité de recombinaison
( = taille du génome / nombre de recombinaisons connues) en (paires de) bases

distance moyenne théorique entre les sites de recombinaison
(= taille du génome / taille de l'unité de recombinaison) en (paires de) bases

virus

virus de la grippe

13 500

ARN simple brin

12

 

 

 

 

bactériophage T4

165 000

ADN double brin

~ 200

800

200

10 000

procaryotes

mycoplasme

< 1 000 000

 

750 ?

 

 

 

 

Escherichia coli

4 200 000

 

2 000 ?

1750

2400

120 000

eucaryotes

Saccharomyces cerevisiae (protiste : levure)

20 000 000

 

4 000 ?

4200

5000

250 000

 

Nématode

800 000 000

 

5 000 ?

320

250 000

12 000 000

 

Drosophila melanogaster (Invertébré, Arthropode)

140 000 000

 

10 000 ?

280

500 000

25 000 000

 

Souris

3 000 000 000

 

25 000 ?

1700

1 800 000

90 000 000

 

Homme

3 300 000 000

 

50 000 ?

3300 ??

1 000 000 ??

50 000 000 ??

Quelques chiffres...

120 000 paires de bases = taille d'une bande colorée sur un chromosome humain (estimée à partir d'une coloration à haute résolution de 550 bandes pour un chromosome moyen de 65 000 000 paires de bases = 46 chromosomes pour 3,3 milliards de paires de bases)

25 000 000 de paires de bases = taille estimée de la plus petite distance entre deux sites qui ne recombinent pas statistiquement par crossing-over chez la drosophile (la méthode est inapplicable à l'homme)

un fragment de 50 paires de bases n'est quasiment pas récupérable dans un gel d'agarose (Gènes, p 76), on peut estimer à quelques centaines de milliers de paires de bases les plus petits fragments de restriction manipulables (je ne suis pas sûr de ce chiffre mais je n'ai trouvé aucune donnée précise à ce sujet). A ce titre l'exercice du livre de Terminale S Bordas spécialité n°7 p34 probablement repris de Gènes p 75 n'est pas une approche réelle, c'est un exercice THEORIQUE ce qui est franchement déconcertant ; les chiffres sont donnés en paires de bases alors qu'il devraient l'être en centaines de milliers de paires de bases.... par contre, avec les méthodes de séquençage d'ADN par électrophorèse sur gel d'acrylamide, on arrive à faire migrer des fragments de quelques centaines de paires de bases ... (Gènes p85)

 

Vers une nouvelle étape

Une théorie complète de l'hérédité doit tenir compte des trois niveaux d'information du vivant : le niveau génétique, le niveau cytoplasmique (qui manipule l'information génétique) et le niveau extracellulaire (l'environnement).

Par exemple le zygote humain posséde bien les trois types d'information : l'information génétique qui résulte de la réunion des informations génétiques des deux gamètes haploïdes (un exemple d'application étant une anomalie chromosomique qui provoque des anomalies graves sur le développement) ; l'information cytoplasmique qui résulte de la fusion inégale des cytoplasmes de l'ovocyte II et très partiellement (voir pas du tout) du spermatozoïde (un exemple la mettant en évidence peut par exemple être fourni par l'étude des cas de certains vrais jumeaux qui, par division d'un massif cellulaire correspondant à un individu, donnent deux individus, identiques par certains traits morphologiques mais pas au niveau de l'individu biologique bien évidemment, ce qui reviendrait à dire qu'ils ne sont qu'une seule personne...); l'information extra-cellulaire qui résulte des interactions entre les gamètes et les cellules présentes lors de leur maturation, puis de l'oeuf et des cellules voisines du lieu de la fécondation puis du lieu de développement de l'embryon (information clairement démontrée par les expériences d'embryologie expérimentale... pour donner un exemple classique tiré du livre de Rosine Chandebois : le gène et la forme (p 62): lorsqu'on fournit à un épithélium oesophagien de poulet de la vitamine A, il cesse de sécréter de la kératine et sécréte alors du mucus ; ou pour rester dans le domaine de la biologie humaine, si une fécondation a lieu en un autre endroit que la partie terminale des trompes, le développement ne se poursuit pas...).

En guise de conclusion provisoire, juste quelques réflexions, à améliorer, je n'en doute pas.

Le premier point essentiel concerne l'organisme : la génétique des procaryotes ne peut pas être assimilée à celle des eucaryotes, c'est un problème d'ordre de grandeur essentiel (voir tableau plus haut).
Si l'on considère par exemple chez la drosophile deux gènes classiquement considérés comme liés (gènes b pour black (corps noir) et vg pour (ailes) vestigiales) portés par le chromosome n°2. Ces allèles sont définis en terme d'unités mutables mais certainement pas en terme d'unité codant pour un produit fonctionnel, même si évidemment, on connaît des protéines codées par cette immense partie du chromosome polyténique drosophilien...De la même manière l'allèle sauvage est simplement défini comme le gène non muté mais certainement pas comme une unité fonctionnelle. Que signifie dans ce cas, pour le chromosome et le gène drosophilien une liaison chromosomique ? Il semblerait que l'on puisse répondre que deux unités mutables liées correspondent à deux caractères qui apparaissent toujours simultanément chez l'adulte et qu'ils peuvent être reliés matériellement à deux zones proches d'un chromosome donné. Il y a donc un lien, exprimé au cours de l'embryogenèse, entre ces deux caractères, ce lien passant par l'expression de produits gouvernés par les gènes en question (sans que l'on ait pour l'instant une idée précise de la relation entre le génotype et le phénotype ... de l'adulte... voir à ce propos la page du nouveau cours de 1ère S). Ce lien est donc toujours métabolique car il s'exprime à la fois au niveau cytologique et au niveau extracellulaire puisqu'on le retrouve au niveau de l'organisme adulte.
De la même manière que signifie alors un crossing-over ? Les deux caractères portés par chacun des parents séparément avec deux allèles différents se retrouvent associés (sont exprimés ensemble) chez un descendants. Reprenons l'exemple ci-dessus. Une drosophile mutée à ailes vestigiales et corps noir de souche "pure", c'est à dire qui se reproduit toujours en donnant des descendants qui présentent les mêmes mutations présente donc une modification probablement matérielle, transmise héréditairement, et qui repose de façon certaine, au moins sur deux zones bien spécifiques du chromosome n°2. Si l'on regarde maintenant l'organisme entier et que l'on ne s'intéresse plus uniquement à ses chromosomes, on a donc des mouches à corps noir et ailes vestigiales qui se reproduisent entre elles et donnant toujours des mouches à corps noir et ailes vestigiales....

Que doit-on garder de Mendel ? Si l'hérédité mendélienne doit probablement être considérée comme l'exception il n'est reste pas moins que la liaison chromosomique entre les caractères et leur support matériel -le gène matériel- semble être une base incontournable. Mais bien évidemment l'expression du gène -le gène fonctionnel-, connaissance acquise grâce à la biologie moléculaire, n'est pas du tout univoque. La liaison entre un gène et un caractère peut nécessiter l'expression d'un autre gène, lié physiquement ou non (on pourrait dire qu'il est lié métaboliquement).
Que doit-on garder de Morgan ? Je me méfie de plus en plus du modèle "drosophilien" mais la disposition linéaire des gènes semble être aussi acquise. Par contre le crossing-over pourrait être écarté non pas comme un mécanisme qui n'existe pas (c'était le jeu ! : voir cours de TS sur un jeu sans crossing-over) mais bien comme un mécanisme, parmi d'autres mécanismes, de recombinaison site-spécifique , celui-ci n'étant probablement pas un mécanisme essentiel à la transmission des gènes. De la même manière, et de façon certes très audacieuse (!!!) on pourrait aussi écarter la méiose telle que l'on la conçoit ; une succession inamovible de deux divisions précédée par une longue étape de maturation pendant laquelle on lieu les crossing-over. Une nouvelle lecture consisterait à dire que la période de maturation sexuelle est la seule étape vraiment originale et spécifique (avec la fécondation ou le déclenchement de la division de l'œuf) de la reproduction sexuée. Il n'existerait alors qu'un seul type de division cellulaire qui serait la mitose. (Voir cours de TS sur la reproduction et page sur
la méïose).

 


Modifié le: Thursday 6 September 2018, 16:13