Les Bourdons pollinisateurs menacés
Les Bourdons (Bombus Latr.) comptent parmi les Insectes les plus familiers, avec l'Abeille domestique, de la faune hyménoptérologique (voir page suivante). Leur comportement débonnaire, leur diligence au travail et leur sens de l'économie en ont fait, dans certains pays, un emblème pour la promotion de produits commerciaux ou de services tels que les céréales pour le petit déjeuner ou les comptes en banque. Ils figurent également comme l'un des symboles de la protection de la nature sur un certain nombre de dessins et de peintures, de calendriers et de timbres-poste.
Les Bourdons appartiennent comme l'Abeille domestique (Apis mellifera) à la famille des Apidae, mais leurs particularités morphologiques et biologiques bien tranchées leur ont valu d'être réunis dans une sous-famille, celle des Bombinae.
On connaît environ 200 espèces de Bourdons réparties dans le monde, mais surtout bien représentées dans les régions froides et en altitude, les formes tropicales ou méditerranéennes étant beaucoup moins variées. En France, on a inventorié 34 espèces de Bourdons, réparties en un certain nombre de genres et de sous-genres.
Les Bourdons, comme l'Abeille domestique, ont une vie sociale complexe : présence d'une caste d'ouvrières, élevage en commun des larves, production de cire utilisée comme matériau pour la construction des cellules à couvain.
I/ Cycle biologique
Les sociétés d'Abeilles domestiques et de Bourdons sont constituées selon un même plan ; elles comprennent des individus sexués (la reine, ou femelle fondatrice, et les mâles) et des individus stériles (les ouvrières). Toutefois, tandis que la reine d'Abeille est exclusivement occupée par la ponte, ne participe à aucune construction ni à aucune récolte de provisions, ne prend aucun soin de sa progéniture, la reine de Bourdon est la fondatrice de toute la colonie ; c'est elle qui commence l'édification du nid, et l'approvisionne au début.
Le cycle biologique est également différent : les sociétés des Abeilles domestiques sont permanentes, les colonies de Bourdons sont annuelles. La durée de vie des membres de la colonie de Bourdons varie selon la caste et la saison. La reine vit de 12 à 14 mois, tandis que les ouvrières et les mâles vivent quelques semaines.
Dans nos régions tempérées, les colonies de Bourdons comportent généralement une seule génération annuelle. Toutefois, l'existence de deux générations chez certaines espèces telles que Bombus terrestris L. est possible dans les régions méditerranéennes.
1- Hibernation
L'entrée en torpeur des reines de chaque espèce de Bourdons s'effectue généralement à une période déterminée de la belle saison. Ainsi, Pyrobombus (Pyrobombus) pratorum L. et Pyrobombus (Pyrobombus) hypnorum L. entrent en torpeur en juillet, alors que les autres espèces le font de la mi-août à la fin septembre.
Les reines en hibernation trouvent refuge dans le sol, soit sous une épaisse couche de mousse, ou bien plus profondément dans une cavité. Ces refuges sont situés le plus souvent en des lieux où l'insolation ne risque pas de provoquer un réchauffement prématuré du sol qui pourrait être préjudiciable à la survie des Bourdons.
2 - Apparition des reines au printemps
Les sorties d'hibernation des reines se succèdent, à la fin de l'hiver et au début du printemps, en fonction de l'espèce. Pyrobombus pratorum, Pyrobombus hypnorum et Bombus lucorum L. sont les plus précoces, Megabombus (Megabombus) hortorum L., Megabombus (Megabombus) ruderatus F. et Megabombus (Subterraneobombus) subterraneus L. les plus tardives.
Après une période de réchauffement à la surface du sol, les reines s'alimentent de nectar et de pollen sur les fleurs de saule, de lamier pourpre ou blanc, et d'arbres fruitiers.
3 - Fondation du nid
Deux à trois semaines après leur sortie d'hibernation, les reines recherchent un emplacement pour construire leur nid. Chez la plupart des espèces, le nid est souterrain, occupant le gîte abandonné d'un petit rongeur (souris, mulot, etc.). D'autres espèces (Megabombus (Thoracobombus) pascuorum Scop., Megabombus (Thoracobombus) muscorum L., Megabombus (Thoracobombus) sylvarum L., Megabombus (Thoracobombus) ruderarius Müll.) nidifient à la surface du sol, au milieu de touffes d'herbes ou dans la mousse. D'autres enfin (P. hypnorum, P. pratorum) choisissent des lieux très variés : nids d'oiseaux abandonnés, bottes de paille, chaume de cabanes, creux de vieux arbres, matériaux de rembourrage entreposés dans les greniers, matériaux d'isolation des toits, etc.
L'édification du nid commence par l'aménagement d'une petite cavité au milieu des matériaux (herbes, mousses desséchées, etc.). Ensuite, l'ordre des opérations varie d'une espèce à l'autre, mais le nid comporte toujours un pot en cire pour le stockage du miel, et une cellule en cire contenant une couche de pollen imbibé de miel sur laquelle la reine dépose ses oeufs, au nombre de 8 à 16.
L'éclosion des oeufs survient 4 à 6 jours après la ponte. Le mode d'alimentation des larves varie suivant l'espèce. Chez certaines espèces (Bombus terrestris, par exemple), il s'agit d'un approvisionnement progressif : la nourriture est distribuée aux larves, régurgitée par la reine, à intervalles de temps ; chez d'autres (M. pascuorum, par exemple), un approvisionnement de masse permet aux larves de disposer de pollen entreposé dans des logettes accolées à leur cellule de développement.
Les ouvrières sont produites par couvées successives. Leur nombre varie d'une espèce à une autre : de 60 à 80 chez P. pratorum et M. pascuorum à 500 chez P. hypnorum.
Les mâles et les reines de Bourdons apparaissent dans les colonies lorsque celles-ci atteignent un certain stade d'évolution. Leur nombre varie d'une trentaine, pour chaque sexe, dans le cas des petites colonies, à une centaine, ou plus, pour les colonies importantes. Ce sont les mâles qui apparaissent les premiers, généralement à partir de début juin, suivis des reines, deux à trois semaines plus tard. Tandis que les mâles quittent leur nid après quelques jours, les jeunes reines y séjournent plus longtemps, accomplissant toutes sortes de tâches domestiques (alimentation des larves, défense du nid, récolte de nectar et de pollen).
Les accouplements ont lieu hors du nid. Le comportement sexuel des mâles varie suivant les espèces. Des phéromones sexuelles permettent à ceux-ci d'établir des circuits et d'attirer les reines.
Tous les individus de la colonie disparaissent vers la fin de l'été, à l'exception des jeunes reines fécondées qui recherchent un refuge pour l'hibernation.
Depuis longtemps, les observateurs ont remarqué les affinités naturelles qui existent entre les Bourdons et les fleurs de trèfle violet (Trifolium pratense L.). Dès 1859, Darwin, dans L'origine des espèces, montrait "quels rapports complexes relient entre eux des plantes et des animaux fort éloignés les uns des autres dans l'échelle de la nature".. Pour cela, il a étudié les fleurs de trèfle violet et leurs relations avec les Bourdons : "le Bourdon seul visite le trèfle violet parce que les autres Apidés ne peuvent pas atteindre le nectar. Nous pouvons considérer comme probable que, si les Bourdons venaient à disparaître, ou devenaient très rares en Angleterre, le trèfle violet deviendrait aussi rare ou disparaîtrait complètement. "
Le trèfle violet est auto-incompatible, et les fleurs exigent d'être fécondées avec du pollen provenant de fleurs d'un autre plant de la même espèce avant de pouvoir produire des graines.
La corolle est la partie caractéristique de la fleur par sa forme papilionacée ; elle est constituée de cinq pétales soudés formant un tube dont le diamètre varie de 1,6 à 2,5 mm et la longueur de 7,5 à 12,4 mm, selon la variété. Le nectar est produit par des nectaires situés à la base de la face interne de la gouttière staminale et s'accumule au fond du tube de l'androcée.
L'accessibilité du nectar, autrement dit la distance entre l'ouverture de la corolle et la surface de la colonne de nectar, est l'un des facteurs déterminants de l'attraction des fleurs pour les Insectes pollinisateurs. La profondeur de la corolle et l'abondance de nectar ne permettent l'accès de celui-ci qu'aux insectes pourvus d'un proboscis (ou "trompe".) suffisamment long.
Parmi les espèces d'Apoïdes considérées comme pollinisatrices du trèfle violet (Apis mellifera, Bombus sp., Melitta sp., Melitturga sp., Eucera sp., Osmia sp.,...), toutes n'ont pas la même efficacité. Akerberg et Stapel (1966) ont montré que la profondeur de la corolle de la fleur du trèfle violet diminuait suivant un gradient nord-sud en Europe, tandis que la longueur du proboscis de l'Abeille domestique augmentait. Ce phénomène expliquerait l'efficacité relative de l'Abeille pour polliniser le trèfle violet dans les régions méridionales, et sa faible influence sur les rendements dans les régions septentrionales. Parmi les Bourdons, un certain nombre de butineuses appartenant aux espèces Bombus terrestris et Bombus lucorum, perforent la base de la corolle pour en prélever le nectar.
Ce comportement "négatif". pour la pollinisation est exploité par d'autres insectes pollinisateurs qui empruntent la même voie. Toutes les autres espèces de Bourdons ont une longueur de proboscis et un comportement normal qui en font, dans de nombreux pays, des auxiliaires de premier ordre en production de semences de trèfle violet, particulièrement lorsqu'il s'agit de variétés tétraploïdes (Taséi, 1984).
Le rôle des Bourdons s'avère également très important dans la pollinisation d'autres Légumineuses fourragères (luzerne, trèfle blanc, trèfle incarnat, trèfle hybride, sainfoin, lotier...) pour la production de semences, et dans celle des Légumineuses protéagineuses (féverole, lupins) pour la production de graines.
L'influence des Bourdons dans la pollinisation des arbres fruitiers (cerisier, pommier, pêcher, prunier) est variable du fait d'un manque de synchronisme entre la période de floraison et la production d'ouvrières butineuses par la colonie. Le plus souvent, ce sont les reines de Bourdons qui sont disponibles pour visiter les fleurs d'arbres fruitiers ; toutefois, les ouvrières de certaines espèces précoces (P. pratorum, P. hypnorum, B. lucorum) peuvent prendre part à la pollinisation d'espèces ou de variétés d'arbres fruitiers à floraison tardive.
Le pourcentage relativement faible de butineuses de Bourdons à cette époque de l'année est en partie compensé par le fait qu'elles visitent, pendant le même laps de temps, deux à trois fois plus de fleurs que les Abeilles domestiques et qu'elles changent d'arbre plus rapidement. La propension des Bourdons à visiter les fleurs d'une espèce ou d'une variété avec moins de constance que l'abeille domestique, l'étalement plus grand de leur activité de butinage au cours de la journée, leur ténacité à butiner même lorsque les conditions météorologiques sont inclémentes (températures fraîches, pluie faible, etc.), constituent des facteurs qui assurent l'importance des Bourdons dans la réussite de la pollinisation des arbres fruitiers.
Certaines cultures potagères dont les productions commercialisées sont des fruits (tomate, poivron, aubergine, melon, concombre, courges) dépendent en principe des conditions de pollinisation. D'autres plantes potagères sont cultivées pour leur racine ou leur bulbe (carotte, radis, oignon), pour leur feuillage (choux, salade) ou pour l'ensemble des parties végétatives (asperge, endive, poireau). Le problème de la pollinisation intervient ici pour la production de semences. Les agents pollinisateurs sont essentiellement des Apoïdes, sociaux et solitaires, et dans certains cas des Diptères.
La culture de la tomate se développe naturellement en plein air dans les pays méditerranéens. La mise au point de techniques rationnelles de forçage et l'évolution des variétés ont favorisé l'installation de cultures sous abris dans des pays tels que la Belgique et la Hollande, ainsi que dans certaines régions en France (Ile-de-France, Bourgogne, Bretagne, Pays de Loire, Sud-Ouest, Sud-Est).
Les fleurs de tomate, hermaphrodites et autofertiles, requièrent cependant l'intervention d'un agent extérieur pour bénéficier d'une pollinisation efficace. Sous abris, deux techniques sont utilisées pour améliorer les rendements en fruits : d'une part, le maintien d'Abeilles domestiques et, d'autre part, le vibrage (mécanique ou électrique), pratique qui consiste à agiter artificiellement les fleurs.
Si les résultats obtenus avec les Abeilles domestiques sont moyens dans l'ensemble, le vibrage donne des résultats plus satisfaisants. Toutefois, cette technique augmente sensiblement le coût de revient à la production, car elle exige une action répétée, mobilisant une main-d'oeuvre importante. Afin de se soustraire à cette technique contraignante et onéreuse, l'attention des serristes s'est portée sur l'utilisation des Bourdons. Les premières introductions de colonies de Bourdons sur des cultures de tomates en serres ont eu lieu en Belgique, en 1987. Depuis cette date, les essais se sont multipliés, notamment en Hollande, et plus récemment en France.
Les prestations offertes par les Bourdons dans ce mode de culture ont fait l'objet d'un certain nombre d'observations (Navez et Budin, 1990). Les Bourdons effectuent régulièrement la pollinisation au moment propice à la disponibilité du pollen, rendant la nouaison plus efficace. Une amélioration de la qualité des fruits attribuée à l'intervention des Bourdons est également rapportée. L'absence de défauts liés aux "coups de vibreur". sur les jeunes fruits permet d'obtenir une nette diminution des fruits "blessés". ou déclassés. L'influence de la pollinisation entomogame sur le poids et le calibre des fruits est plus difficile à quantifier et serait faible par rapport à un vibrage bien exécuté.
Pour répondre à des demandes sans cesse croissantes des serristes, un certain nombre de problèmes doivent être résolus, dont le principal est la production de colonies de Bourdons en nombres suffisant pour assurer la pollinisation pendant toute la période de floraison des tomates.
Dans un rapport sur l'utilisation des insectes pollinisateurs, J. Lecomte souligne qu'il y a deux aspects différents selon le but poursuivi. Dans le cas d'une pollinisation sous abris, souhaitée par des généticiens, des multiplicateurs ou des producteurs, le prix de revient importe moins et l'utilisation des Bourdons s'avère intéressante. Par contre, pour la pollinisation en plein champ, le prix de revient importe beaucoup, et il est moins avantageux de produire des colonies. Toutefois, il est nécessaire de poursuivre les recherches sur l'écologie de ces Insectes afin de favoriser le développement des populations naturelles.
III/ Causes possibles des fluctuations des populations de Bourdons
L'un des problèmes essentiels liés à l'utilisation des Bourdons comme agents pollinisateurs de cultures en plein champ réside dans les variations locales et temporelles du nombre de colonies et du nombre d'individus par colonie. Ces variations, d'une région à une autre, d'une année à l'autre, sont la conséquence de facteurs complexes, parmi lesquels il convient de considérer des facteurs abiotiques et des facteurs biotiques.
Les populations de Bourdons sont soumises à des changements qualitatifs (espèces présentes dans une région, absentes dans une autre) et quantitatifs (espèces abondantes dans une région, rares dans une autre). Toutefois, les observations effectuées en différentes régions montrent que si certaines espèces se maintiennent à un niveau stable, d'autres subissent des raréfactions et d'autres, enfin, des disparitions.
Les conditions climatiques ambiantes (température, précipitations atmosphériques, etc.) exercent une action cinétique directe sur les grandes fonctions physiologiques et les réactions comportementales des Insectes. Certains facteurs tels que la photopériode et la température exercent également un contrôle sur l'activité endocrinienne et peuvent, ainsi, indirectement, modifier la fécondité, le mode et le rythme de reproduction, la vitesse de développement. A l'action délétère des facteurs abiotiques, il convient d'ajouter celle des facteurs édaphiques, les reines de Bourdons effectuant une partie de leur cycle biologique au-dessous de la couverture végétale, et présentant alors des exigences quant à la structure, la texture et l'humidité du sol.
Tout au long de leur cycle biologique, les Bourdons sont affectés par l'action de prédateurs et de parasites. Au cours de l'hibernation, les reines de Bourdons sont la proie de mammifères insectivores comme la musaraigne ou le hérisson, et constituent des hôtes pour des Nématodes comme Sphaerularia bombi (Allantonematidae), qui provoque une castration parasitaire et inhibe le développement ovarien. Au printemps, les nids peuvent être envahis par des teignes (Aphomia sociella, Lép. Pyralidae) dont les chenilles dévorent les matériaux et les provisions.
Les Bourdons, comme tous les animaux, n'échappent pas aux maladies infectieuses, mais il n'est pas possible d'évaluer actuellement le rôle de ces maladies, car tous les germes n'ont pas encore été identifiés. La plus grande incertitude règne dans la connaissance de l'état sanitaire des populations sauvages.
Outre les facteurs biotiques de limitation naturelle des populations de Bourdons, les interventions humaines peuvent avoir des effets désastreux au niveau de l'insecte lui-même ou de sa niche écologique.
L'emploi de produits phytosanitaires constitue un danger important pour la faune pollinisatrice.
L'absence de spécificité d'un certain nombre d'insecticides vis-à-vis d'espèces nuisibles présente des risques graves pour les Insectes auxiliaires de l'agriculture ou indifférents. La question des effets de l'emploi des insecticides sur le niveau des populations d'insectes pollinisateurs a commencé à se poser, à partir des années 1950, avec une certaine acuité. Jusqu'aux années 1970-80, on n'a considéré comme importante que la protection de l'Abeille domestique, aussi bien en raison des intérêts économiques en jeu que par ignorance du rôle écologique des autres insectes.
La législation actuelle étend les mesures de protection contre les insecticides à tous les insectes pollinisateurs. Le progrès est incontestable. Mais, comme le souligne Descoins (1983), toute cette législation n'est qu'une législation de vente et non d'utilisation. Des accidents peuvent survenir : traitements sur colza en pleine floraison par des pyréthrinoïdes, etc. De plus, nos connaissances sont très limitées concernant les effets secondaires de l'emploi des insecticides sur les populations d'Insectes pollinisateurs, par exemple les effets à long terme des doses sub-nécrotiques d'insecticides ou de leurs métabolites. Peuvent-ils perturber le comportement des Insectes, agir sur la fécondité des femelles (Descoins, 1983) ? Enfin, la toxicité des insecticides à l'égard de certains Apoïdes est parfois bien différente de celle qui est observée chez l'Abeille domestique (Taséi, 1987).
Les herbicides, du fait de leur faible toxicité, présentent pour les insectes pollinisateurs des risques très réduits. En revanche, si l'on considère les effets secondaires, il est certain que les herbicides ont une action non négligeable sur l'entomofaune pollinisatrice car ils font disparaître des végétaux producteurs de nectar et de pollen. En apiculture, les herbicides manifestent leur nocivité par une baisse des rendements en miel, au moins localement. En ce qui concerne les Insectes pollinisateurs sauvages, ils sont d'autant plus exposés qu'ils ont un régime alimentaire plus étroit. Certains Apoïdes sont inféodés à un nombre restreint d'espèces végétales. Si les herbicides les font disparaître, ils font du même coup disparaître les Insectes associés.
La transformation des paysages ruraux (arasement des talus, arrachage des haies et des bosquets, comblement de certains fossés, destruction de vieux murs, bitumage de chemins, etc.) dans le but d'intensifier l'urbanisation, les réseaux routiers et notamment autoroutiers, et de créer des zones industrielles, a pour conséquence la disparition de nombreux biotopes et une rupture d'équilibre entre les plantes et leurs pollinisateurs.
Les méthodes culturales telles que la monoculture sur de grandes surfaces de plantes non mellifères (céréales), et la régression de cultures de plantes fourragères contribuent à réduire considérablement les ressources nécessaires aux insectes pollinisateurs.
Les effets de la pollution atmosphérique par émission de gaz toxiques sur l'entomofaune pollinisatrice n'a fait l'objet que de très rares études. Nous savons que l'Abeille domestique est très sensible à la pollution par le fluor. Il ressort d'observations faites en Silésie (Kosior et Nosek, 1987) que la pollution de l'air par des métaux lourds (cadmium, plomb, zinc) entraîne une diminution du nombre des espèces de Bourdons et une réduction du nombre de leurs colonies dans un rayon de 3 km. autour de la source d'émission, le cadmium constituant l'élément le plus dangereux.
La circulation automobile sur les routes et les autoroutes est responsable, par collision en vol, de la destruction d'un certain nombre d'individus.
En conclusion de l'action de l'homme, il est regrettable de constater que parfois les Bourdons font l'objet d'une chasse abusive, ceci presque toujours dans un but de collection ou d'échanges. On peut également se poser la question de savoir dans quelle mesure des captures en nombre important de femelles fondatrices destinées à des élevages de masse peuvent contribuer à l'appauvrissement de l'entomofaune d'une région (cf. encadré ci-dessous).
Nous ne disposons pas encore de données suffisantes pour établir avec certitude le degré d'importance des différents facteurs susceptibles d'avoir un impact sur l'appauvrissement qualitatif et quantitatif des populations naturelles de Bourdons .
[R] Le déclin des populations de Bombus terrestris L. en Turquie
- par Kikmet Özbek
Université Atatürk
Faculté d'Agriculture, département de Protection des végétaux
25240 Erzurum (Turquie)
Bombus terrestris se trouve uniquement dans les plaines, à moins de 1 000 m d'altitude : il est abondant le long des côtes. Ses populations, à l'instar de celles d'autres Apoïdes sauvages, ont diminué récemment par suite de l'augmentation des surfaces cultivées, de l'usage intensif et anarchique des pesticides et de l'accroissement rapide de la population, de plus en plus urbaine dans les régions méditerranéenne et égéenne. B. terrestris est devenu très rare dans plusieurs périmètres agricoles importants, comme à Cukurova, Antalya et dans plusieurs endroits de l'Anatolie.
Bombus terrestris est parmi les pollinisateurs les plus efficaces de beaucoup de plantes cultivées et est capital pour la fécondation des plantes indigènes. Depuis 1988, aux Pays-Bas et en Belgique, les producteurs de tomates font appel massivement à B. terrestris pour assurer la pollinisation dans les serres. Deux firmes basées aux Pays-Bas et disposant de partenaires en Turquie ont obtenu un permis du gouvernement les autorisant à y élever des B. terrestris en vue de leur exportation. Mais nous avons pu mettre en évidence que ces deux firmes se sont contentées de ramasser tôt au printemps des reines hivernantes pour les expédier directement. Ce sont 3 à 4 000 reines qui ont été ainsi prélevées depuis 1989. Certaines fois, le nid a été emporté avec.
Cette pratique irresponsable conduit à la disparition de cette espèce utile de son milieu naturel.
Il faut insister sur le fait qu'à une époque ou l'on se préoccupe de plus en plus des équilibres naturels fragiles de la planète Terre, une telle pratique est impardonnable.
Je pense que ces firmes doivent s'en tenir aux conditions de leur permis et faire le nécessaire pour remplacer les Bourdons qu'ils ont prélevés dans la nature.
Comme on l'a souligné au Sommet de la Terre le 5 juin 1992 à Rio de Janeiro, "nous n'avons qu'une terre, prenons-en soin ensemble (Only one earth, care and share)". Chacun doit se sentir concerné par la sauvegarde de l'environnment et agir en conséquence.