La biodiversité des pollinisateurs est indispensable
La survie ou l'évolution de plus de 80 % des espèces végétales dans le monde et la production de 84 % des espèces cultivées en Europe dépendent directement de la pollinisation par les insectes. Ces insectes pollinisateurs sont pour l'essentiel des abeilles, dont il existe plus de 1 000 espèces en France. Partout dans le monde et plus encore dans les pays industrialisés comme la France, les populations de ces abeilles sont en déclin et de nombreuses espèces sont menacées.
En effet, l'élimination de leurs sites de nidification (disparition des haies et remembrements, urbanisation), la raréfaction des plantes qui leur fournissent nectar et pollen (liée à la monoculture et l'utilisation d'herbicides), et les épandages de pesticides sont autant de facteurs qui contribuent à éliminer les pollinisateurs. Les conséquences positives de la biodiversité des pollinisateurs sur la biodiversité des plantes et sur les activités humaines, et en particulier sur l'agriculture, commencent néanmoins à être reconnues et même chiffrées en termes économiques en utilisant une méthodologie développée à l'INRA.
Des abeilles avant tout :
Abeille domestique (Apis mellifera) en train de
récolter du nectar sur une fleur de mauve
© INRA / N. Morison
Beaucoup d'insectes visitent les fleurs, mais parmi eux les abeilles ont une relation particulière-ment indissociable avec les fleurs. Le mutualisme qui les lie (relations mutuellement bénéfiques), a conduit à la coévolution et à la diversité des espèces que l'on connaît aujourd'hui. Plus de 20 000 espèces d'abeilles dans le monde contribuent à la reproduction sexuée, et donc à la survie et à l'évolution de plus de 80% des espèces de plantes à fleurs. Ces fleurs leur offrent nectar, pollen, mais aussi huile, chaleur, parfum, leurre sexuel — ou parfois rien du tout ! — en échange de ce service, d'apparence modeste mais essentiel, que constitue le transport de leur pollen depuis les étamines productrices jusqu'aux stigmates du même ou d'un autre individu, permettant la fé-condation. Préalable incontournable à la reproduction sexuée des plantes à fleurs, la pollinisation par les abeilles reste encore aujourd'hui un phénomène fascinant et méconnu.
ALARM, un programme européen pour sauver les pollinisateurs
Le programme européen ALARM (Assessing LArge-scale environmental Risks for biodiversity with tested Methods*) a pour objectif sur cinq ans (2004-2008) d'évaluer les risques encourus par la biodiversité terrestre et aquatique et l'impact potentiel de son déclin à l'échelle de l'Europe. Avec 52 partenaires, c'est le plus gros programme européen jamais conduit sur la biodiversité. ALARM comprend 4 modules (changements climatiques, produits chimiques, espèces invasives et pollinisateurs) complétés par un module transversal socio-économique. Les chercheurs de l'INRA d'Avignon sont partenaires du module Pollinisateurs et sont chargés d'évaluer l'impact agronomique et économique de l'évolution des populations de pollinisateurs sur l'agriculture de l'Union Européenne.
Biodiversité des pollinisateurs
Bourdon terrestre (Bombus terrestris) en train de "vibrer" une fleur de tomate pour en extraire le pollen © INRA / N. Morison
L'incidence de la pollinisation par les abeilles est difficile à mesurer car d'autres agents comme le vent ou l'auto-pollinisation passive contribuent aussi à la pollinisation de la plupart des plantes. Lorsque l'on parvient à éliminer ces facteurs ou à quantifier leur action, on réalise combien le rôle des abeilles est important.
Ainsi des chercheurs de l'INRA ont mis récemment au point une méthodologie qui a montré que la pollinisation par les abeilles contribue pour 70% de la production de semences chez l'oignon par exemple. Au delà du simple rendement, la qualité germinative des graines issues des fleurs visitées par les abeilles est supérieure de plus de 10% à celle des graines produites par les fleurs pollinisées uniquement par le vent.
Les abeilles interviennent dans la pollinisation de très nombreuses cultures, comme les rosacées fruitières (abricotier, amandier, cerisier, fraisier, pêcher, poirier, pommier, prunier), les cucurbitacées (courgette, melon, pastèque), les solanées (tomate, poivron), le kiwi, les cultures oléagineuses (colza, tournesol) et protéagineuses (féverole), et de nombreux légumes et condiments (artichaut, chou, fenouil, oignon, persil, poireau, scarole et frisée) et cultures fourragères (luzerne, trèfle) pour leur semence. Quand on y regarde de près, il est difficile d'imaginer un seul repas auquel les abeilles ne soient pas associées de près par leur activité pollinisatrice !
Si les colonies d'abeilles domestiques et de bourdons élevées par l'homme effectuent une large part de cette pollinisation, d'autres espèces sauvages y participent aussi comme les osmies et les mégachiles. Des études récentes montrent que la biodiversité des abeilles permet une meilleure fructification et le maintien d'une activité pollinisatrice, dans le cas où l'abeille domestique ou le bourdon seraient attaqués par une épidémie ou un parasite comme l'acarien Varroa.
Biodiversité des pollinisateurs et conservation des milieux naturels
L'agriculture joue ici aussi un rôle non négligeable dans la survie des abeilles. Lorsqu'un sol est laissé en friche, les premières espèces qui le colonisent sont généralement des plantes à cycle court qui se développent rapidement et dont la reproduction sexuée ne fait pas appel aux insectes (mouron des champs, séneçon, de nombreuses crucifères comme la capselle bourse-à-Pasteur, et de nombreuses graminées). Ces espèces ont des fleurs très petites qui ne sont presque jamais visitées par les abeilles.
Au contraire, le terme final des successions végétales en milieu tempéré continental et plus encore méditerranéen contient essentiellement des plantes pérennes, majoritairement strictement allogames, c‘est-à-dire nécessitant une fécondation croisée. Beaucoup de ces espèces dépendent largement ou exclusivement des abeilles pour assurer leur fécondation. On peut citer des essences forestières comme certaines rosacées (alisier, aubépine, églantier, merisier, sorbier), des érables, des cornouillers, des espèces ligneuses comme les genêts, les cistes et hélianthèmes, des éricacées (airelle, arbousier, bruyère, callune), des lamiacées (romarin, thym), et aussi des espèces pérennes herbacées comme les sauges et les orchidées. Seules les abeilles, en réalisant une pollinisation croisée, contribuent à réduire les risques de dégénérescence par consanguinité. Elles assurent donc la survie de toutes ces espèces et de tout le cortège de vie sauvage (oiseaux, rongeurs, mammifères) qui leur est associé.
La FAO (Nations Unies) a lancé en 1996 un cri d'alarme à l'attention de tous les gouvernements pour sauvegarder cette faune d'auxiliaires et favoriser la survie de ces alliés qui contribuent à notre menu quotidien aussi bien qu'à la beauté de nos paysages les plus chers. Les travaux de recherche doivent permettre de mobiliser de nouvelles connaissances pour y répondre.